|
Livre
III - REIMS
III
- La Pucelle - p. 237 à 254 |
|
'
était le roi, c'étaient les seigneurs et le peuple,
que par ces paroles Jeanne prenait à témoin de la
vérité de sa mission : et qui d'entre eux la pouvait
mettre en doute ? Orléans délivré en quatre
jours de combat; les Anglais, en moins d'une semaine, chassés
de leurs principales positions sur la Loire et battus en rase campagne
dans leur retraite ; le roi mené à Reims avec une
armée dépourvue de tout, à travers un pays
occupé par l'ennemi, entrant dans les villes et atteignant
le but de son voyage sans coup férir : voilà ce qu'elle
avait fait; et sa façon d'agir n'était pas moins surprenante
que les résultats obtenus. Dans la première campagne,
elle avait montré non-seulement l'inspiration qui enlève
le succès, mais l'habileté qui le prépare,
étonnant les plus vieux capitaines par une connaissance de
la guerre que l'on ne pouvait attendre ni de son sexe ni de son
âge. Et dans cette nouvelle entreprise, où l'on avait
affaire moins aux Anglais qu'à des enfants égarés
de la France, elle avait su prendre les villes, sans qu'une seule
goutte de ce sang français, qui lui était si cher,
fût répandue (1).
Mais ce qui commandait surtout la foi en sa mission,
c'est qu'elle l'affirmait. Elle se plaisait à dire que son
oeuvre n'était que ministère, c'est-à-dire
qu'elle ne faisait, humble servante, que ce qui lui était
commandé; et quand on lui disait que jamais en aucun livre
on n'avait lu choses semblables, elle répondait : «
Messire a un livre où nul clerc n'a jamais lu, si parfait
qu'il soit en cléricature. » C'est donc à
Dieu qu'elle en rapportait le principe; et quand elle l'affirmait,
comment ne l'en pas croire ? Tout en elle était d'une sainte.
Sa piété, sa ferveur sont attestées à
toutes les époques de sa vie. Il ne lui suffisait pas d'accomplir
ses devoirs de bonne chrétienne : elle le faisait avec un
zèle à en chercher les occasions, parmi les empêchements
de toute sorte, où l'on pouvait voir qu'ils n'étaient
pas seulement pour elle une obligation de conscience, mais une joie
de l'âme. Souvent, à la messe, pendant l'élévation
ou quand elle communiait, ou bien encore lorsqu'elle était
en prière, on la voyait verser des larmes. Elle se plaisait
au son des cloches, simple et religieuse harmonie qui n'est point
seulement un appel à la prière, mais comme une voix
de la terre au ciel. Elle se plaisait aux chants consacrés,
et chaque jour à l'heure du crépuscule, pendant que
les cloches sonnaient, elle se retirait dans les églises,
et, rassemblant les religieux mendiants qui suivaient l'armée
du roi, elle leur faisait chanter quelqu'une des hymnes de la Vierge.
Elle aimait surtout les petits et les simples, et cherchait à
se confondre parmi eux pour approcher de Celui qui a dit : Laissez
venir à moi les petits enfants. « Quand elle se trouvait,
dit Pasquerel, dans un endroit où il y avait des couvents
de moines mendiants, elle me disait de lui remettre en mémoire
les jours où les petits enfants des mendiants recevaient
la communion, afin que, ce jour-là, elle la reçût
avec eux; ce qu'elle fit bien des fois (2).
»
Ce n'était point assez pour elle que de rendre
honneur à Dieu : elle eût voulu qu'il fût honoré
de tout le monde ; elle voulait que les soldats fussent comme elle
dans la grâce de Celui en qui elle cherchait sa force. On
a vu à quel titre elle admettait les troupes autour de son
étendard, quelles conditions elle réclamait pour l'assaut
ou pour la bataille : elle fit que La Hire se confessât. Ce
n'était pas, sans doute, chose bien rare en ce temps, mais
ce qui était bien plus commun alors comme aujourd'hui, c'étaient
les jurons, les blasphèmes, cette déplorable habitude
qui fait qu'on renie Dieu et qu'on se damne soi-même comme
sans y penser. Jeanne ne se lassait pas de la combattre auprès
des seigneurs comme auprès des soldats : « Ah! maître,
disait-elle à un des principaux chevaliers qu'elle entendait
jurer ainsi, osez-vous bien renier notre Sire et notre Maître
? En nom Dieu, vous vous en dédirez avant que je parte d'ici.
» Et le chevalier se repentit et se corrigea. Elle reprenait
les ducs, les princes comme les autres. On n'osait plus jurer en
sa présence, et le duc d'Alençon déclare que
sa vue seule le contenait. Mais c'est l'habitude même qu'elle
eût voulu déraciner de leurs coeurs, et, ne la pouvant
détruire, elle cherchait à la transformer en proposant
à cet instinct, devenu machinal, une manière inoffensive
de se produire. Elle avait décidé La Hire à
ne plus jurer que par son bâton, et elle-même, comme
pour tâcher d'en mettre l'usage à la mode, elle avait,
si l'on en croit Perceval de Cagny, familièrement adopté
cette expression : Par mon martin! (par mon bâton.) (3)
Sa chasteté, sa pudeur, ne pouvaient jamais mieux
se montrer que dans cette vie toute militaire. On s'étonnait
de la voir à cheval si longtemps, comme étrangère
aux nécessités qui l'auraient pu forcer d'en descendre.
Quand elle le pouvait, elle allait passer la nuit chez l'hôte
le mieux famé de la ville ou du voisinage, et partageait
son lit avec quelqu'une des filles de la maison. Quand elle ne le
pouvait pas, elle couchait, comme les autres, à la paillade,
mais toute vêtue et renfermée dans ses habits d'homme.
C'était peu que d'être chaste et pure : elle inspirait
la chasteté aux autres. D'Aulon, son écuyer, qui la
voyait plus familièrement que personne, quand il l'armait,
quand il dut panser ses blessures, Alençon qui l'avait près
de lui dans toute la campagne de la Loire, Dunois, qui la suivit
presque partout, s'accordent à dire, comme les deux braves
soldats sous la garde desquels elle vint de Vaucouleurs, que jamais
sa vue n'éveilla en eux aucune pensée dont elle eût
pu rougir. Il est inutile de dire qu'elle ne pouvait souffrir la
présence de ces femmes qui se mêlaient aux armées,
à la honte de leur sexe. Plusieurs fois, elle ordonna qu'elles
fussent toutes renvoyées. Aucune n'eût osé se
montrer devant elle, et elle ne tolérait pas davantage qu'une
fille suivît son amant, fût-il chevalier, à moins
de se marier. Un jour elle en poursuivit une, l'épée
levée, mais sans la frapper pourtant, et en l'avertissant
avec douceur de ne plus se trouver dans la société
des hommes d'armes, ou qu'elle lui ferait déplaisir. Une
autre fois elle fît plus : elle brisa son épée
sur le dos de l'une d'elles, l'épée de sainte Catherine
! Le roi en fut fâché pour l'épée, et
lui dit qu'elle aurait mieux fait de prendre un bon bâton. Mais elle tenait plus à l'honneur de son sexe
qu'à l'épée de sainte Catherine (4).
Si elle voulait rappeler le soldat aux devoirs du
chrétien, elle tâchait, à plus forte raison, de le
soustraire à ces habitudes de pillage et de meurtre
qui trouvent dans la vie des camps trop d'occasions
de se satisfaire. Elle avait horreur du sang versé. C'était pour ne tuer personne qu'elle portait à la main son étendard dans les batailles. Elle
n'imposait pas cette loi aux siens, sans doute,
mais elle condamnait tout ce que la nécessité ne
commandait pas. Un jour, un Français ayant
frappé à la tête et blessé grièvement un des Anglais prisonniers qu'il avait sous sa garde, Jeanne
descendit de cheval, soutint le blessé par la tête,
et lui fit donner les secours de la religion tout en lui prodiguant les siens. Quant au pillage, cette
cause de violences et quelquefois de meurtres, elle
ne le tolérait pas plus volontiers. Elle ne répondait
de la victoire qu'à la condition qu'on ne prendrait
rien à personne et qu'on ne ferait aucune
violence aux pauvres gens. Pour sa part, même
quand on manquait de vivres, elle refusait de
prendre rien de ce qui avait été enlevé. Sa bonté était extrême et s'étendait à toutes les misères.
Elle faisait volontiers l'aumône ; elle donnait aux
autres pour qu'ils la fissent aussi; elle disait
qu'elle était envoyée pour la consolation des indigents
et des pauvres. Quant aux blessés, qui étaient plus spécialement confiés à sa sollicitude,
elle avait les mêmes soins pour tous, qu'ils fussent
Anglais ou Français. Et avec tout cela elle était si simple que sa bonté faisait oublier sa grandeur,
et qu'un des témoins du procès déclare naïvement
qu'il voudrait avoir une aussi bonne fille (5).
Cette simplicité, cette innocence, cette douceur qui se gardaient inaltérables jusque dans les troubles
de la vie des camps, rendaient plus étonnantes
encore les grandes qualités qu'elle montrait
dans la conduite des armées. Ses compagnons admiraient
en elle, non-seulement le courage du chevalier
ou le coup d'oeil du grand capitaine, mais
une science et comme une habitude de la guerre
que le temps semble seul pouvoir donner. Le duc d'Alençon, qui, dans la campagne de la Loire,
commandait à côté d'elle, et on peut dire sous elle,
n'hésite point à constater par le récit des faits, et à reconnaître expressément par ses paroles, cette
supériorité dont tout le monde s'étonnait : « En
toutes choses, dit-il, hors du fait de la guerre, elle était simple et comme une jeune fille; mais au fait
de la guerre, elle était fort habile soit à porter la
lance, soit à rassembler une armée, à ordonner
les batailles ou à disposer l'artillerie. Et tous s'étonnaient
de lui voir déployer dans la guerre l'habileté
et la prévoyance d'un capitaine exercé par
une pratique de vingt ou trente ans. Mais on l'admirait
surtout dans l'emploi de l'artillerie, où elle
avait une habileté consommée. » Ce n'est point là
le propre d'une mystique, et la Sibylle française,
comme l'appelait un clerc allemand dans un écrit de
ce temps-là (juillet-septembre 1429), ne ressemblait
guère à toutes celles qu'il énumère en tête de son
livre pour la rattacher à des antécédents. Jeanne,
dont on voudrait faire une visionnaire à cause
de ses visions, était loin, quelque pieuse qu'elle
fût, d'être absorbée dans les paisibles contemplations de l'extase. C'était, comme on l'a pu voir déjà
par le tableau même de ses premières campagnes,
une nature pleine de vivacité et d'entrain, faisant
pour sa part métier de soldat et de chef de troupes,
et ne différant des autres que par ces illuminations
de l'esprit et ces vertus angéliques, où
l'on pouvait voir un rayonnement de la force qui
l'animait (6).
Si les résistances devaient survivre au sacre en
certain lieu, les hommages n'avaient point attendu
jusque-là pour lui venir de toutes parts. Les chevaliers
abandonnaient leurs propres panonceaux
pour s'en faire faire sur le modèle du sien. Le
roi lui avait donné un état de maison qui la faisait
l'égale d'un comte, ne voulant pas que personne
dans l'armée eût lieu de mépriser son dénûment;
et elle soutenait son rang parmi les seigneurs
sans vanité, comme sans fausse modestie. Elle avait reçu des Orléanais une robe à la livrée
du duc d'Orléans; du duc de Bretagne, des compliments
d'abord, et à la suite de la bataille de
Patay une dague et des chevaux de prix. Elle recevait
ces présents : elle en faisait à son tour, et
même aux plus grandes dames, usant familièrement
de réciprocité sans prétendre les égaler
d'ailleurs, et s'excusant avec grâce de la modicité
de ses dons. Mais elle aimait surtout à donner,
selon le précepte de l'Évangile, à ceux de qui elle
n'espérait rien recevoir ; et pour cela elle ne craignait
pas de recourir à son crédit. Pendant qu'elle
demeurait à Tours, elle avait pris en amitié la
fille du peintre qui décora son panonceau et sa
bannière. Cette jeune fille se mariant, elle demanda,
par une lettre adressée au conseil de Tours, qu'il
lui donnât cent écus pour son trousseau. Après le
sacre, ce qu'elle demanda au roi et ce qu'elle obtint
pour prix de cette couronne qu'elle avait fait
poser sur sa tête, c'est qu'il usât de sa prérogative
pour exempter d'impôt le village où elle était
née (7). Le père de Jeanne qui vint rejoindre sa fille à
Reims, put en rapporter la nouvelle aux habitants
de Domremy (8).
Si Jeanne recevait des grands ces honneurs, que ne devait-elle pas attendre du peuple ? « Et l'appeloient
ly aulcuns du commun de France, l'Angélisque; et en faisoient et cantoient (chantoient) plusieurs
canchons (chansons), fables et bourdes,
moult merveilleuses, » dit le haineux auteur d'une
chronique bourguignonne. C'était comme une adoration,
et elle ne savait comment s'en défendre.
On se jetait aux pieds de son cheval, on baisait
ses mains et ses pieds; et l'accusation, qui plus
tard devait recueillir précieusement les moindres
traits de ces hommages populaires pour les faire tourner à sa perte, constate que l'on portait des
médailles à son effigie, qu'on plaçait son image
dans les églises, et qu'on la mentionnait dans les
prières de la messe. Jeanne ne demandait pas
mieux que de savoir qu'on priât pour elle; mais
son bon sens la mettait en garde contre l'enivrement de ces honneurs ; et quand les docteurs
lui disaient qu'elle faisait mal de les souffrir,
qu'elle entraînerait les peuples à l'idolâtrie, elle
répondait avec simplicité : « En vérité, je ne
m'en saurais garder, si Dieu ne m'en gardait lui-même (9).»
La foi en elle, l'enthousiasme était donc général,
et il y en a, dans le temps même, des témoignages
de diverses sortes. Le comte d'Armagnac lui écrivait
pour savoir à quel pape il fallait se soumettre
(août 1429) ; Bonne Visconti, pour qu'elle la rétablît
dans le duché de Milan; et sa lettre portait cette suscription : « A très-honorée et très-dévote
Pucelle Jeanne, envoyée du Roi des cieux pour la
réparation et extirpation des Anglois tyrannisans la France. » Christine de Pisan, presque septuagénaire,
sentait se ranimer en elle un reste d'inspiration pour chanter celle qui avait conduit son
peuple comme Josué, qui l'avait sauvé comme
Gédéon, qui avait surpassé en prodiges Esther,
Judith et Débora. Et déjà elle voyait non-seulement
Paris ouvrant ses portes à Charles VII et les
Anglais chassés de France, mais l'Église pacifiée
et la terre sainte reconquise (10).
Mais une plus franche poésie se développait
dans les traditions qui s'attachaient à sa personne.
Déjà la légende naissait pour elle à côté de l'histoire,
et l'imagination populaire parait de ses fantaisies
les prodiges bien plus sérieux qu'elle opérait.
Au siége d'Orléans, les Anglais déclaraient
avoir vu deux prélats cheminant en habits pontificaux
tout à l'entour des murailles de la ville ; et
l'on ne doutait pas que ce ne fussent les deux patrons
de la cité, saint Euverte et saint Aignan, qui
l'avaient jadis sauvée des mains d'Attila. Au moment
où Jeanne avait donné le signal du dernier
assaut, une colombe avait paru, planant au dessus
de son étendard ; à Troyes, « une infinité
de papillons blancs » voltigeant à l'entour; et à
la veille du voyage de Reims, on avait vu dans le
Poitou « des hommes armés de toutes pièces chevaucher
en l'air sur un grand cheval blanc, se dirigeant des mers d'Espagne vers la Bretagne et criant aux populations effrayées : « Ne vous esmayez
(n'ayez peur). » — C'est l'Angleterre qui
devait trembler (11).
Il était plus facile encore de répandre le merveilleux
sur sa naissance, sur ses premières années.
Sa naissance avait été divinement présagée.
La nuit qu'elle vint au monde (c'était l'Épiphanie),
les gens du peuple avaient, sans savoir pourquoi,
senti en eux une joie inexprimable; ils couraient çà et là, demandant ce qu'il y avait de nouveau;
les coqs avaient fait entendre des chants inaccoutumés,
et pendant deux heures on les vit battant
de l'aile comme en présage de cet événement. Son
enfance n'avait pas été moins bénie.
Pendant
qu'elle gardait les brebis, les oiseaux des champs
venaient à sa voix, comme privés, manger son
pain dans son giron; jamais le loup n'approcha
du troupeau confié à sa garde, ni l'ennemi ou le
malfaiteur, du toit paternel tant qu'elle l'habita.
Quand elle eut sa première révélation, ses compagnes
jouant avec elle la défiaient à la course ;
elle courait, ou plutôt elle volait; ses pieds rasaient
le sol sans y toucher. — Voilà ce qu'on disait, voilà ce que recueillait déjà Perceval de Boulainvilliers
dans une lettre écrite au duc de Milan,
le 21 juin 1429, trois jours après la bataille de
Patay, et terminée pendant le voyage de Reims. « Cette Pucelle », ajoutait-il, plaçant auprès de
ces fictions un portrait fait au naturel, « est d'une
rare élégance, avec une attitude virile. Elle parle
peu et montre une merveilleuse prudence dans
ses paroles. Elle a une voix douce comme une
femme, mange peu, boit peu de vin ; elle se plaît à cheval sous une armure brillante. Elle aime autant
la société des gens de guerre et des nobles,
qu'elle aime peu les visites et les conversations
du grand nombre ; elle a une abondance de larmes,
et le visage serein ; infatigable à la peine, et si
forte à porter les armes, que pendant six jours
elle demeure complétement armée jour et nuit (12). »
Bien d'autres lettres, sans doute, et il en est
resté plusieurs, portaient au loin le bruit de sa
renommée. Celles mêmes qui laissent de côté le
merveilleux de fantaisie témoignent de la même
foi en ses succès, en ses prédictions, jusque dans
les termes où les exagérait le bruit populaire. Des envoyés de quelque ville ou prince d'Allemagne
qui donnent une curieuse et très-précise relation
du siége d'Orléans et de la campagne de la Loire,
y compris la bataille de Patay, et qui par conséquent écrivent après le 18 juin, disent que « la
Pucelle a garanti qu'avant que le jour de la Saint-Jean-Baptiste de l'an 29 arrive (avant huit jours),
il ne doit pas y avoir un Anglais, si fort et si
vaillant soit-il, qui se laisse voir par la France,
soit en campagne, soit en bataille ; » et le terme n'a
rien qui les étonne : on croit que rien ne lui peut
résister. Le secrétaire de la ville de Metz, qui écrit pendant le voyage de Reims, le 16 juillet, ne
met en doute aucun des bruits qui lui signalent
les villes comme prises ou près de l'être : car « tout ce que le dauphin et la pucelle entreprennent
leur réussit en tout sans aucune résistance »
et il montre qu'il y avait tout à l'entour autant de
répugnance à l'aller combattre que d'empressement à servir avec elle. Le duc de Bourgogne
s'était vu réduit à l'inaction, les Flamands et les
Picards refusant de l'aider hors de leur pays ; et
au contraire beaucoup de chevaliers partaient des
pays allemands pour « aller trouver le dauphin à
Reims ». On l'apprend par cette lettre; et l'on voit en effet Robert de Sarrebruck, seigneur ou damoiseau
de Commercy, on voit le duc de Bar,
René d'Anjou, héritier désigné de la Lorraine, qui
naguère avait fait hommage à Henri VI, venir rejoindre
le roi, la veille du sacre (13).
On était donc plein de confiance et d'espoir. Le
sacre, loin d'être le terme où l'on dût s'arrêter, ne
se montrait que comme le point de départ de la conquête. La couronne que le prince y recevait était le gage du royaume qu'il avait à reprendre,
et dans l'armée et dans le peuple il y avait un élan immense pour l'y aider. Comment ces espérances
furent-elles déçues ? La mission de Jeanne se terminait-elle au sacre, et la victoire a-t-elle dès lors cessé de la suivre parce que la force qui la faisait
vaincre ne la dirigeait plus ? C'est une question
qui se pose d'elle-même, et marque un point
d'arrêt dans le récit au moment où l'on passe de
la période triomphante qui aboutit à Reims à celle
qui a pour terme Rouen.
Source : Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879.
Notes :
1 La Pucelle au voyage
de Reims : « Et partout où la Pucelle venoit,
elle disoit à ceulx des places : « Rendez (vous)
au roi du ciel et au gentil roy Charles. » Et estoit toujours
devant à venir parler aux barrières; » Q.
t. IV, p. 18 (Cagny).
- Étonnement des capitaines : « Nemo
capitaneus nutritus et eruditus in bello ita experte nescivisset
facere, unde capitanei erant niirabiliter admirati ; » Q.
t. III, p. 128 (A. Viole), et ibid., p. 13 (Dttoois); p. 100 (Alençon)
; p. 120 (Th. d'Armagnac, comte de Termes, etc).
2 Mission : « Et pluries audivit dicere dictæ
Johannæ quod de facto suo erat quoddam ministerium ; et
quum sibi diceretur : « Nunquam talia fuerunt visa sicut
videntur de facto vestro ; in nulle libro legitur de talibus factis,
» ipsa respondebat : «Dominus meus habet unum librum
in quo unquam nullus clericus legit, tantum sit perfectus in clericatura.
» Q. t. III, p. 110 et 111 (Pasquerel).
- Piété de Jeanne : « Quod ipsa
Johanna erat multum devota erga Deum et beatam Mariam, et quasi
quotidie confitebatur, et communicabat frequenter;... dum ipsa
confitebatur; ipsa flebat. » Q. t. III, p. 104 (Pasquerel).
— « Quod habebat in consuetudine frequenter confitendi
peccata sua, et quotidie audiebat missam. » T. III, p. 34
(la fille de son hôte d'Orléans). — «
Confitebatur sæpe, vacabat orationi asidue ; audiebat missam
quotidie, et recipiebat frequenter Eucharistiæ sacramentum.
» Ibid., p. 18 (Dunois). — « Quæ sæpissime
confitebatur de duobus diebus in duos dies, et etiam qualibet
septimana recipiebat sacramentum Eucharistiæ, audiebatque
missam qualibet die, et exhortabatur armatos de bene vivendo et
sæpe confitendo. » Ibid.. p. 81 (Sim. Beaucroix) ;
cf. p. 218 (d'Aulon). — « Quod ipse vidit Johannam,
dum celebraretur missa, in elevatione corporis Christi mittere
lacrymas in abundantia. » Ibid., p. 32 (Compaing); cf. p.
66 (L. de Contes).
- Les cloches et les chants : Q. t. III, p. 14 (Dunois).
- Les petits enfants : ibid., p. 104 (Pasquerel).
3 Piété inspirée aux soldats : Q. t. III, p. 81 (Sim. Beaucroix) ; cf. p. 105 (Pasquerel).
«Ipsa inducebat armatos ad confitendum peccata sua ; et
de facto vidit qui loquitur quod, ad instigationem suam et monitionem,
La Hire confessus est peccata sua, et plures alii de societate
sua. » Ibid., p. 32 (Compaing).
- Répression des blasphèmes : «
Increpabat armatos quando negabant vel blasphemabant nomen Dei.
» Q. t. III, p. 33 (Bordes).— « Et tunc ille
Dominus poenituit. » Ibid., p. 34 (Veuve Huré). -
« Multum etiam irascebatur dum aliquos armatos audiebat
jurantes; ipsos multum increpabat et maxime ipsum loquentem qui
aliquando jurabat; et dum videbat eam, refrenabatur a juramento.
» Ibid., p. 99 (Alençon).
- La Hire : « Quod amplius non juraret : sed,
dum vellet negare Deum, negaret suum baculum. Et postmodum ipse
La Hire in præsentia ipsius Johannæ consuevit negare
suum baculum. » Ibid., p. 206 (Seguin). — «
Par mon Martin, ce estoit son serment. » Q. t. IV, p. 4,
etc. (Cagny). On peut se demander pourtant si Cagny n'a point
prêté ici à la Pucelle quelqu'une de ses manières
de parler. Tous les autres historiens ou témoins ne citent
de Jeanne qu'une seule parole en forme d'affirmation : «
En nom Dieu. » Si celle qui lui est rapportée par
Perceval de Cagny lui eût été ordinaire, il
serait étrange qu'on n'en eût pas tiré au
procès une nouvelle accusation de sorcellerie. - On n'a
pas besoin dinvoquer le témoignage de d'Aulon : qu'il ne
l'a jamais « ouy jurer, blasphémer ou parjurer le
nom de Notre-Seigneur, ne de ses saints, pour quelque cause ou
occasion que ce fust. » Ibid., p. 219.
4 Pudeur : Quod dum erat in armis et eques nunquam descendebat
de equo pro necessariis naturæ, » t. III, p. 118 (Sim. Charles).« Semper in nocte habebat mulierem cum ea cubantem, si invenire
posset ; et dum non poterat invenire, quando erat in guerra
et campis? cubabat induta suis vestibus, » t. III, p. 70 (L. de Contes);
cf. p. 18 (Dunois); p. 34 (Charlotte Havet); p. 81 (Sim. Beaucroix)
et p. 111 (Pasquerel).
Chasteté qu'elle inspirait : « Dicit etiam quod aliquando in
exercitu ipse loquens cubuit cum eadem Johanna et armatis à la
paillade, et vidit aliquando quod ipsa Johanna se præparabat :
non tamen habuit ipse loquens unquam de ea concupiscentiam
carnalem, » ibid., p. 100 (Alençon) ; cf. p. 15 (Dunois) et p. 77
(Thibault) : « et credebant quod non posset concupisci.
Filles chassées des camps, ibid., p. 81 (Sim. Beaucroix). — « Quam tamen non percussit, sed eam dulciter et caritative monuit
ne se inveniret amodo in societate armatorum, « ibid., p. 73
(L. de Contes). — Persequebatur cum gladio evaginato quamdam
juvenculam existentem cum armatis, adeo quod eam insequendo
disrupit suum ensem, » ibid., p. 99 (Alençon) ; cf. t. IV, p. 71-72
(J. Chartier).
5 Horreur du sang, t. III, p. 205 (Seguin). — Anglais blessés,
secourus, ibid., p. 72 (L. de Contes); « pia etiam non solum erga
Gallicos, sed etiam erga inimicos, ibid., p. 81 (Beaucroix).
Pillage
détesté, ibid., p. 111 (Pasquerel); t. IV, p. 500 (Éb. de Windecken) ; « nam de victualibus quæ sciebat deprædata nunquam
volebat comedere, » ibid., t. III, p. 81 (Beaucroix).
Charité:
libenter dabat eleemosynas, et dixit testis quod multotiens sibi pecunias
ad dandum pro Deo concessit, t. II, p. 438 (J. de Metz). — « Dicebat quod erat missa pro consolatione pauperum et indigentium.» t. III, p. 87 (Marguerite La Touroulde).
Soin des
blessés : De pauperibus armatis, esto quod essent de parte Anglicorum,
ipsa multum compatiebatur. « Ibid., p. 111 (Pasquerel).
Une aussi bonne fille : « Et bene vellet habere unam filiam ita bonam.» T. II, p. 450 (Aubert d'Ourches).
6 Habileté militaire de Jeanne d'Arc : t. III, p. 100 (Alençon),
et p. 120 (Th. de Termes) : « Quod extra factum guerræ erat simplex
et innocens ; sed in conductu et dispositione armatorum et in
facto guerræ, et in ordinando bella et animando armatos, ipsa ita
se habebat ac si fuisset subtilior capitaneus mundi, qui totis temporibus
suis edoctus fuisset in guerra. » Cf. ibid., p. 32 (R. de Farciault)
; p. 116 (Sim. Charles) ; p. 126 (P. Millet) ; t. IV, p. 3 (Cagny),
et p. 70 (J. Chartier) : « Et chevauchoit toujours armée en habillement
de guerre, ainsi qu'étoient les autres gens de guerre de la
compaignie ; et parloit aussi prudemment de la guerre comme capitaine
savoit faire. Et quand le cas advenoit qu'il y avoit en l'ost
aucun cry ou effroy de gens d'armes, elle venoit, fust à pied ou à
cheval, aussi vaillamment comme capitaine de la compagnie eust
sceu faite en donnant coeur et hardement à tous les aultres, en les
admonestant de faire bon guet et garde en l'ost, ainsy que par
raison on doit faire. Et en toutes les aultres choses estoit bien simple
personne, et estoit de belle vie et honesteté. » Cf. t. III, p. 424
et suiv. (La Sibylle française.)
7 Voy. le n°30 aux Appendices.
8 Les panonceaux : t . I , p. 97. — État de maison : « Ut ei Rex
Carolus sumptus, quibus comitis familiam æquaret, suppeteret, ne
apud viros militares per causam inopiæ vilesceret, » t. IV, p. 449
(Pontus Heuterus, écrivain du XVIe siècle, d'après G. Chastelain). Il continue ainsi : « Conspiciebatur enim ejus in comitatu, præter
nobiles puellas, procurator domus, stabuli præfectus, nobiles pueri, a manibus, a pedibus, a cubiculis, colebaturque a rege, a proceribus,
ac imprimis a populo instar divæ habebatur. »
Robes de Jeanne : T. V, p. 559 (comptes de forteresse), et Mantellier,
Le 426e anniv. du siége d'Orléans, p. 61.
Compliments et présents du duc de Bretagne, D. Morice,
Hist. de Bretagne, t. I, p. 508, et M. J. Quicherat, Procès, t. V,
p. 264.
Dons de la Pucelle: « La Pucelle m'a dit en son logis, comme je la
suis allé y voir, que trois jours avant mon arrivée, elle avoit envoyé à vous, mon aieulle, un bien petit anneau d'or, mais que c'estoit
bien petite chose, et qu'elle vous eust volontiers envoyé mieulx, considéré votre recommandation. » T. V, p. 109 (Lettre de Gui de
Laval à sa mère et à son aïeule).
La fille du peintre de Tours.
Le conseil décida que les deniers de la ville ne pouvaient pas être
détournés de leur emploi ordinaire. Mais, « pour l'amour et honneur
de la Pucelle, » il résolut en même temps d'assister en corps à la bénédiction nuptiale, d'y convoquer les habitants par l'organe
du notaire municipal, et de donner à la mariée (ici commence enfin la munificence de la ville) le pain et le vin ce jour-là : un setier
de froment pour le pain et quatre jalaies de vin (t. V, p. 154-156);
et les comptes des deniers communs de la ville de Tours portent
en détail ce qu'il en a coûté : 40 sous pour les quatre jalaies
de vin, et 50 sous pour le pain; total 4 1. 10 s. t. (37 f. 05) (t. V,
p. 271).
Honneurs rendus : Les habitants de Poitiers appelèrent une de
leurs tours, Tour de la Pucelle. On la trouve ainsi désignée dans
un acte du 3 mars 1430 (1431). (Procès, t. V, p. 196). Voy. sur les
autres points l'appendice n°31.
9 L'angélique. Chron. de France (Ms. de Lille, n° 26) Bulletin
de la Société de l'Hist.de France, juin 1857, p. 102.
Hommages populaires : » Et resistebat quantum poterat quod
populus honoraret eam. » T. III, p. 31 (P. Vaillant). — « Multum dolebat
et displicebat sibi quod aliquæ bonæ mulieres veniebant ad
eam, volentes eam salutare, et videbatur quædam adoratio, de quo
irascebatur. » Ibid., p. 81 (Beaucroix). — Quædam gentes capiebant
pedes equi sui, et osculabantur manus et pedes. — In veritate
ego nescirem a talibus me custodire, nisi Deus me custodiret. »
Ibid., p. 84 (Barbin). Voy. de plus l'appendice n° 32.
10 Lettre du comte d'Armagnac, t . 1 , p. 245 ; nous y reviendrons
au procès; — de Bonne Visconti, t. V, p. 253, d'après Lemaire,
Histoire et antiquités de la ville et duché d'Orléans.
Christine
de Pisan (vers achevés le 31 juillet 1429), t. V, p. 4 et suiv. Il y a
dans ce petit poëme quelques autres passages qui méritent d'être
cités. Voy. le n°33 aux Appendices.
11 Saint-Aignan; la colombe : t. V, p. 297 et 294 (Chron. de la
Fête du 8 mai), cf. t. IV, p. 163 (Journal). — « Et de ceste journée
dirent aucuns et affermèrent que durant ledit assault, furent véus
deux blancs oiseaux sur les espaulles de ladite Pucelle. » (Chron.
des Pays-Bas; Coll. de chron. belges, t. III. p. 412).
Les papillons
blancs : Chron., ch. LVII. Dans le procès il est question des
papillons blancs autour de son étendard, en un autre lieu, à Château-Thierry. La Pucelle répond qu'elle n'a rien vu de pareil, t. I,
p. 103.
Les hommes dans l'air, t. V, p. 122 (Lettre sur des
prodiges advenus en Poitou).
12 L'enfance de Jeanne, t. V, p. 116-120 (Boulainvilliers). Le trait
des petits oiseaux est du Bourgeois de Paris qui, comme on le pense
bien, le déclare apocryphe : In veritate apocryphum est, t. IV,
p. 463.
13 Terme de la Saint-Jean. «Und ist yetzund der Koenig uff dem
felde mit Jungfrowen, und vil die Engelschen uss dem lande schlagen,
wanne die Jungfrowe heit ime verheissen, ee dann san
Iohannes tag des deuffers kome in dem XXIX iare, so solle kein
Engelscher also menlich noch so geherit syn, das er sich laseshense zu velde oder zu strite in Franckenrich ; » t. V, p. 351. — Le secrétaire
de Metz, ibid., p. 353-355.
Le Damoiseau de Commercy, t. IV, p. 77. (J. Chartier), p. 185
(Journal) cf., p. 23 (Cagny); t. V, p. 65 (Martial d'Auvergne). Le
Damoiseau de Commercy, Robert de Sarrebruck, neveu de l'évêque
de Châlons, fut fait chevalier par le roi après la cérémonie du
sacre. Sur René d'Anjou, voy. l'appendice n°34.
|