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Jeanne
d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice 22 : Forces engagées dans l'attaque et la défense d'Orléans |
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J'ai a rectifier les évaluations que j'avais présentées
dans l'édition précédente, mais aussi, je pense,
à corriger sur quelques points celles qui m'ont fait revenir
de mon premier calcul.
J'avais adopté l'évaluation de l'abbé
Dubois qui portait à 400 hommes les troupes étrangères
à la ville, employées à sa défense au
commencement du siège. M. J. Loiseleur trouve dans les comptes
de Hémon Raguier qu'il y avait alors sous divers chefs 66
hommes de trait et 182 hommes d'armes. En prenant l'homme d'armes
de cette époque tel qu'on le trouve dans plusieurs textes
de la fin du quatorzième siècle, c'est-à-dire
pour un homme de guerre accompagné d'un page et d'un coutillier
(c'est le calcul de M. J. Loiseleur), les 182 hommes d'armes font
546 combattants, et avec les 66 hommes de trait on a 612 hommes
comme le minimum de la garnison d'Orléans.
Le 25 octobre le Bâtard d'Orléans fait
entrer dans Orléans 800 hommes (Journal, t.IV, p.101). Le
compte de Hémon Raguier porte comme résidant à
Orléans 685 tant hommes d'armes que de trait : confusion
qui ne permet pas d'arriver à un nombre exact. "Mais,
dit M. Loiseleur, on voit clairement que les hommes d'armes sont
plus nombreux que ceux de trait. Jacques de Chabannes à lui
seul reçoit un à compte sur 211 payes d'hommes d'armes
; le maréchal de Sainte-Sévère sur 85 ; le
Bâtard reçoit 65 payes et l'on sait qu'il a au moins
49 hommes d'armes. Voilà déjà 445 hommes d'armes
représentant 1035 combattants. En supposant que le surplus
fût uniquement composé d'hommes de trait, on arriverait
au chiffre de 1375 combattants;" et l'auteur pose en fait qu'il
y en avait davantage : car plusieurs autres compagnies comprenaient
gens d'armes et archers. Il porte donc à 1600 hommes au moins
le nombre des hommes formant la garnison d'Orléans au 1er
janvier 1429...1600
On trouve ensuite entrant dans Orléans :
- le 5 janvier 1429 avec Louis de Culan (ibid., p.108) ...200
- le 24, 30 hommes d'armes avec La Hire (ibid., p. 114)
: en ne comptant avec l'homme d'armes que son page et son coutillier...90
- le 5 février, 26 hommes rattachés au maréchal
de Sainte-Sévère (ïbid., p.116)...26
- le 7 février, avec W. Stuart, etc...1000
- La même nuit, à Guill. d'Albret...200
Et à La Hire (ibid.,p. 117)...120
Le 9, avec Lafayette (ibid., p. 119)...300
Total des hommes entrés dans Orléans avant
la bataille de Rouvray ou des Harengs...3536
- Mais le 9, Jacques de Chabannes et le Bourg de Bar étaient
sortis avec 20 ou 25 hommes pour aller à Blois rejoindre
le comte de Clermont. Le Bourg de Bar fut pris, les autres dispersés.
Le Journal ne dit pas qu'ils soient rentrés dans la ville...-25
- Le 10, le Bâtard d'Orléans sortait à la même
fin avec 200 hommes et était plus heureux...-200
- Le 11, W. Stuart, entré le 7 avec 1000 hommes et Guill.
d'Albret le même jour avec 200 hommes (probablement aussi
Lafayette, entré le 10 avec 300 h.),en partaient avec 1500
h. : c'est, en y comprenant les 300 hommes amenés le 10 par
Lafayette, le nombre d'hommes qui étaient entrés dans
les derniers jours : ils n'avaient fait que traverser la ville pour
aller au lieu du rendez vous...-1500
Total : -1725
Il restait donc dans Orléans, le jour de la bataille,
environ 1811 à
peu près ce qu'il y en avait avant le mouvement de troupes
qui la précéda.
Combien y en eut-il dans la suite du siège depuis
cette bataille jusqu'au jour où y entra Jeanne d'Arc ?
La difficulté réside dans l'évaluation
des troupes qui entrèrent dans Orléans et de celles
qui en sortirent à la suite de cette journée.
Le comte de Clermont vint à Orléans avec
La Hire et d'autres qui y rentraient (12 février), et il
en sortit le 18 emmenant avec lui le seigneur de La Tour, Louis
de Culan, amiral, Regnaut de Chartres, archevêque de Reims,
l'évêque d'Orléans, La Hire et plusieurs chevaliers
et écuyers d'Auvergne, de Bourbonnais et d'Ecosse, et bien
2000 combattants (ibid., p. 130).
Combien en avait-il amené ?
Le 10
février, quand le Bâtard d'Orléans partit pour
le rejoindre avec 200 combattants, on disait qu'il avait bien avec
lui 4000 hommes. Le nombre pouvait être exagéré
par la rumeur populaire. Le lendemain, Guillaume d'Albret, William
Stuart, frère du connétable d'Ecosse, le maréchal
de Boussac ou Sainte-Sevère, le seigneur de Graville, le
seigneur de Xaintrailles et Poton son frère, La Hire, le
seigneur de Verduzan et plusieurs autres chevaliers et écuyers,
partirent avec 1500 combattants à la même fin, et le
Journal dit que le comte de Clermont "repartit pareillement
et fit tant qu'il vint à toute sa compagnie, à Rouvray
Saint-Denis. Et, ajoute-t-il, quand ils furent tous assemblés,
ils se trouvèrent de 3 à 4000 combattants." (lbid.,
p.120.)
M. J. Loiseleur part de là pour établir
que le comte de Clermont n'avait en réalité avec lui
que 1800 hommes. C'est le chiffre auquel il arrive en prenant la
moyenne entre 3000 et 4000, soit 3500, dont il déduit les
1700 hommes venus d'Orléans : 200 avec le Bâtard, et
ensuite 1500 avec d'Albret, La Hire, etc. (Ouvrage cité,
Eclaircissements) p.210). Il faut dire pourtant qu'il y a
dans le Journal, une page plus bas, un autre texte que M. J. Loiseleur
a passé sous silence. Après avoir parlé de
l'arrivée des Anglais, de leurs dispositions défensives
et de la résolution prise par les Français de les
combattre sans descendre de cheval "sinon les archers et gens
de trait," il ajoute : "Après laquelle conclusion
se mirent devant La Hire, Poton, Saulton, Canede et plusieurs autres
venans d'Orléans, qui estoient environ 1500 combattans;"
puis ayant dit leur résolution de les attaquer a l'improviste
: "Mais le comte de Clermont manda plusieurs fois par divers
messages à La Hire et autres, ainsi dispos d'assaillir leurs
adversaires, qu'ils trouveroient en eulx tant grand advantage, et
qu'ilz ne leur feissent aucun assault jusques à sa venue,
et qu'il leur amènerait de trois à quatre mil combattans,
moult désiranz d'assembler aux Anglois (ibid., p.121)."
Les 3 à 4000 combattants attribués au
comte de Clermont sont donc bien nettement distingués des
1500 venus d'Orléans, tandis que plus haut ils semblaient
confondus. Je dis qu'ils semblaient confondus, et en réalité
ils n'ont jamais été réunis. La chose est prouvée
par la bataille : les 1500 hommes venus d'Orléans et les
200 du Bâtard prirent seuls part au combat ; les autres n'en
furent que spectateurs. Et ce qui confirme la distinction qu'il
faut faire, conformément aux deux textes des p.119 et 121
entre les quinze cents hommes venus d'Orléans, et les trois
ou quatre mille hommes du comte de Clermont, c'est un passage de
la Chron. de la Fête du 8 mai, document d'une grande
valeur, comme on l'a vu, où il est dit de la bataille de
Rouvray : "Et estoient nos gens contre iceulx Anglois six
contre ung (t.V, p.288)." Or d'après le Journal,
les Anglais étaient au nombre de 1500 (t.IV, p.120). Admettez
que l'auteur, dans son dépit contre l'inaction du comte de
Clermont, exagère, réduisez la proportion de moitié,
ce seraient encore 4500 hommes : 1500 pour les Orléanais,
et 3000 pour le comte de Clermont.
Combien en est-il entré dans Orléans?
Le comte de Clermont a bien pu ne pas y ramener avec
lui tous ceux qui s'étaient joints à lui pendant son
séjour à Blois et formaient son corps de trois à
quatre mille hommes "tant d'Auvergne, Bourbonnais comme
d'Ecosse." Le journal du siège dit que quand il
partit le 18 il emmena 2000 hommes ; et on peut induire qu'il ne
laissa personne des siens, car il ajoute : "Après
lequel département ne demeura dedans Orléans sinon
le Bastart d'Orléans, le maréchal de Sainte-Sévère
et leurs gens (t.IV, p.130)." Il dit que les Orléanais
"n'en furent pas bien contents." L'auteur de la
Chronique du 8 mai dit au contraire que les Orléanais, voyant
que le comte de Clermont n'attaquait pas plus les Anglais sous leurs
murs qu'à Rouvray, et craignant de voir leurs vivres s'épuiser,
pressèrent le comte de faire sortir ces bouches inutiles
: "et ainsi s'en partirent (t.V, p.289)."
Quoi qu'il en soit de ces deux appréciations,
les deux récits sont d'accord sur ce point, qu'il n'en est
rien resté.
Qu'est-il rentré des 1700 hommes sortis (200
avec Dunois, 1500 avec d'Albret, W. Stuart, Verduzan, La Hire, etc...)
pour la bataille ? D'Albret. W. Stuart, Verduzan et trois ou quatre
cents hommes y périrent. Dunois faillit y rester : il revint
avec La Hire et Poton de Xaintrailles dans Orléans, et le
reste de leurs hommes avec eux. Mais combien y en est-il aussi revenu
de ceux qui faisaient la troupe de Guill. dAlbret, de W. Stuart
et des autres (environ 1200 hommes) ?
M. J. Loiseleur signale parmi les comptes de H. Raguier
deux payements faits en mars, l'un avant, l'autre après Pâques,
et donnant, le premier, 562 hommes d'armes et 428 hommes de trait
; le second, 508 hommes d'armes et 395 hommes de trait (les nombres
que M. Loiseleur donne dans son exposition, p.189, ne sont pas d'accord
avec ceux qui résultent de ses textes ch. xxiv et xxv, p.
184-192) : en sorte qu'au mois de mars, avant Pâques, il y
aurait eu dans Orléans 1686 hommes pour les gens d'armes,
et leurs valets, soit avec les hommes de trait, en tout 2114 combattants
: nombre qui, comparé à celui de la garnison d'Orléans
la veille de la bataille de Rouvray, n'établit qu'un excédant
de 303 hommes et pourrait faire croire que la plus grande partie
des 1700 hommes qui sortirent d'Orléans pour la bataille,
ou des 1300 hommes qui survécurent, ne sont pas rentrés
dans la ville.
Le nombre des hommes d'armes et des archers constaté
par le compte de Raguier, après Pâques (qui fut le
27 mars), est inférieur en nombre au précédent.
En rapprochant les noms des capitaines, M. Loiseleur fait observer
qu'il y a en moins dans ce dernier compte trois compagnies, comprises
dans le premier pour 36 hommes d'armes et 30 hommes de trait, tandis
qu'on y trouve en plus une compagnie de 11 hommes d'armes et de
9 hommes de trait omis dans l'autre, et il croit qu'il les faut
rétablir de part et d'autre, afin de retrouver tous les capitaines
dans chacun des deux payements. Mais le contingent des compagnies
varie d'un compte à l'autre : le nombre des compagnies elles-mêmes
aurait bien pu varier aussi. Pour nous borner aux nombres exprimés
et sans improuver d'ailleurs l'autre hypothèse, les 508 hommes
d'armes donneraient 1524 combattants qui, avec les 395 archers,
feraient 1919 soldats.
Il faut joindre à ce nombre celui des hommes
entrés à Orléans dans les derniers jours qui
précédèrent l'arrivée de la Pucelle
:
- le 24, avec le Bourg de Mascaran...40
- le 28, avec Alain de Giron...100
- le 27, venant du Gâtinais...60
- le 28, de Châteaudun, avec Florent d'Illiers...400
- le 29, du Gâtinais, le matin du jour où entra la
Pucelle...50
Total...650
- Et avec les 1919 soldats résultant du compte de la fin
de mars...1919
un total de...2569
Si l'on mettait dans le compte d'après Pâques
les trois compagnies portées dans le compte précédent
avec leur contingent, on aurait 2057 hommes pour la fin de mars,
et 2707 pour le 29 avril. M.Loiseleur, qui retient le chiffre du
compte d'avant Pâques et le porte à 2111 hommes (il
faudrait, je pense, avec les chiffres de son texte, lire 2114),
a pour l'époque de l'arrivée de Jeanne d'Arc 2761
combattants. L'abbé Dubois en comptait 2900. Jollois (Hist.
du Siège d'Orléans, p.42) a généralement
admis le calcul de l'abbé Dubois.
Ces nombres ne sont qu'approximatifs. La place n'était
pas entièrement fermée : il y a des arrivées
et des départs qui ont pu n'être pas constatés
; mais on les peut regarder comme très près de la
vérité. La meilleure part de la défense appartenait
donc toujours à la bourgeoisie qui, selon le recensement
opéré en 1428 par le gouverneur Raoul de Gaucourt,
était de 30 000 habitants et pouvait fournir au besoin cinq
mille et communément trois mille combattants (Lottin, t.
I, p.202 et Loiseleur, p.142.)
L'arrivée de Jeanne d'Arc modifia ces proportions.
Elle avait passé la Loire, selon Beaucroix (t.III, p.78),
avec 200 lances, que l'on peut, d'après les observations
de M. J. Loiseleur, ne compter que pour le même nombre de
cavaliers (Comptes des dépenses faites par Charles VII
pour secourir Orléans, p.124, note 2). Nous avons vu
plus haut, à combien d'hommes était évaluée
l'escorte du convoi qu'elle venait d'amener sur la Loire : on laissant
de côté le chiffre de 10 ou 12 000 hommes, porté
au procès-verbal de Rouen, soit qu'il y ait erreur involontaire
ou exagération voulue dans le chiffre, soit qu'il ne faille
pas l'attribuer uniquement aux hommes que la Pucelle aurait reçus
pour cette expédition, on a celui de Monstrelet (7000), ou
celui d'Eberhard de Windecken (3000), et j'ai dit qu'on ne le peut
supposer inférieur à ce dernier. Cette troupe renvoyée
pour passer par le pont de Blois, faillit ne pas revenir. Il fallut
l'arrivée de Dunois pour triompher des dispositions contraires
du conseil : "Et tantôt fut conclu de tous de retourner
et de mener derechef vivres à puissance," dit Jean
Chartier (t.IV, p, 55, 56) ; toutefois, il constate que la troupe
qui prit cette fois son chemin par la Beauce était trois
fois moins nombreuse que celle qui était allée avec
la Pucelle par la Sologne, et c'est aussi ce que dit la Chron. de
la Pucelle (ibid., p.222). En prenant pour cette troupe le
chiffre d'Eberhard de Windecken, ce seraient 1000 hommes ; avec
le nombre de Monstrelet, ce seraient environ 2300 hommes qui seraient
entrés le 4 mai dans Orléans. Nous avions compté
avant l'arrivée de Jeanne d'Arc un peu plus de 2500 combattants
étrangers ; avec les 200 qu'elle amène elles 1000
ou 2000 qu'elle reçoit, ce seraient de 3500 à 4500
hommes qui se seraient joints à la milice orléanaise
pour faire lever le siège d'Orléans aux Anglais.
Quant aux Anglais ils avaient laissé 500 hommes
aux Tourelles avant d'en partir le 8 novembre (Journal, t.IV, p.102),
et y envoyèrent un renfort de 300 hommes au 1er décembre
(ibid., p.103). Ils étaient venus au nombre de 2500,
au 31 de ce mois, pour commencer le siège par la rive droite
(ibid., p. 106), et ils reçurent ensuite 1200 hommes
amenés par Falstolf le 16 janvier, et 1500 autres amenés
par le même le 17 février, après la bataille
des Harengs (ibid., p.110, 120 et 126) ; ajoutez-y 40 hommes venus
le 7 mars (ibid., p. 134), les renforts tirés de Jargeau
et des garnisons de la Beauce le 8 mars, que Jollois porte approximativement
à 2000 hommes, et enfin 1400 hommes qui purent s'adjoindre
comme escorte à divers convois, et vous aurez un total de
9440, sans les Bourguignons que le duc de Bourgogne rappela, et
qu'on évalue à 1500 hommes. (Voy. la note de Jollois,
Siège d'Orléans, p.44, et aussi M. Vergniaud-Romagnesi,
Mémoire sur les dépenses faites par les Orléanais
en raison du siège de 1429, Extrait du Bulletin du Bouquiniste,
nos 96-99, p.12, du tirage à part.) A l'annonce du convoi
qui allait partir pour Orléans avec la Pucelle, Bedford songea
aussi à fortifier les assiégeants. Dès le mois
précédent, il avait convoqué "les gens
nobles tenans noblement du duché de Normandie et pays de
conquête à se rendre au mardi 29 mars à Vernon."
Par une lettre du 20 avril, il avait ordonné de leur payer
à l'avance vingt jours de solde à partir du jour où
ils auraient fait leur montre, c'est-à-dire passé
la revue qui constatait leur nombre et leur état. Une lettre
du 30 avril qui rappelait ces faits y ajoutait, pour ceux qui auraient
répondu à la convocation, de nouveaux avantages (voy.
Mantellier, Hist. du Siège d'Orléans, pièces
justif., n°ix, p.227). D'autre part, le conseil d'Angleterre,
réuni le 15 avril afin de délibérer sur une
dépêche de Bedford, qui demandait 200 lances et 1200
archers pour six mois, lui accordait 100 lances et 700 archers (Proceedings
and ordinances of the privy council of England (Lond. 1834),
t. III, p.322, 323 et 326). Mais pour Orléans tout cela fut
trop tard ; et le 8 juin ils n'étaient pas encore partis
(voy. ibid-, p.328).
Source
: Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879
Illustration :
- Jeanne chevauchant (d'après un dessin de Grasset)
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