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Jeanne
d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice II-17 : Soumission de Jeanne à l'Église |
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La déposition d'Isambard de la Pierre est confirmée au
fond par le greffier Manchon lui-même. Mais le témoignage
de Manchon offre avec celui du premier des différences
d'où l'on a tiré sur l'un et sur l'autre les conclusions les
moins attendues.
Manchon raconte que Jean de la Fontaine, Isambard de
la Pierre et Martin Ladvenu, allant trouver Jeanne dans la
prison, lui dirent qu'elle ne devait pas craindre de se soumettre
au Pape et au concile, puisqu'il y avait dans le concile
des clercs de son parti autant que d'ailleurs. Le lendemain,
Jeanne, interrogée, répond qu'elle se soumet au
Pape et au concile. L'évêque, furieux, demande qui l'a
visitée la veille, et, apprenant du gardien que c'est La Fontaine
et les deux religieux, il s'emporte contre le vice-inquisiteur,
son collègue, patron des deux derniers. Jean de la
Fontaine, se sachant menacé, part de Rouen et n'y revient
plus.
Isambard de la Pierre n'avait parlé que de lui-même ;
Manchon lui associe La Fontaine et Ladvenu. C'est dans
la séance même, selon Isambard, que le conseil fut donné à Jeanne; selon Manchon, ce fut la veille. Isambard n'en
détermine pas l'époque; Manchon indique la semaine
sainte dans une autre déposition. On en conclut qu'il ne
faut s'arrêter ni à l'un ni à l'autre : non qu'ils mentent,
mais ils se trompent. On n'accuse que leur mémoire.
Mais, si leur mémoire est en défaut, c'est apparemment sur les circonstances, où ils diffèrent, et non sur le fond, où
ils sont d'accord. Sur les personnes, Manchon ne contredit
pas Isambard ; il nomme La Fontaine avec lui ; Isambard ne
parle que de lui seul. Sur le moment : fut-ce dans la
séance ou la veille ? La différence est plus grave. Les deux
assesseurs ont-ils, comme le veut Manchon, conseillé
Jeanne la veille, et Isambard a-t-il renouvelé son conseil
dans la séance du lendemain ? Je ne propose pas ce mode
de conciliation; je remarque seulement que, dans tous les
cas, on ne peut démentir Isambard, qui parle d'un fait personnel;
et Manchon, qu'on pourrait soupçonner d'avoir
placé volontiers avant la séance un incident dont on ne
trouve pas la trace dans son procès-verbal, se lave de ce
soupçon, mais confirme ailleurs ce témoignage en disant
qu'un jour, Jeanne étant sommée de se soumettre à l'Église,
Isambard de la Pierre lui conseilla de se soumettre au concile
général, ce qui lui valut l'interpellation de l'évêque : « Taisez-vous, de par le diable !»
Reste l'époque dont Manchon parle seul. Il désigne la
semaine sainte. Or, il n'y eut pas de séance particulière
dans les premiers jours, et le dernier jour, samedi,
31 mars, ni La Fontaine, ni Isambard, ne sont présents.
Mais, puisque dans la semaine sainte aucun jour ne convient,
c'est le cas, non de nier le fait, mais de le chercher
ailleurs : or Manchon lui-même y autorise, car dans une
autre déposition il dit : « Dans la semaine sainte ou environ; » et un peu plus loin, quand il cite le fait d'Isambard
: « Dans le jugement, quand Jeanne était examinée.»
Nous avons pensé que l'incident se rapporte à la dernière
séance des interrogatoires, le mardi 17, séance dans laquelle le procès-verbal mentionne, en effet, une question
sur le Pape. Et l'on comprend pourquoi, après ce refus
d'enregistrer sa réponse, Jeanne a répondu comme elle l'a
fait à l'évêque, dans la visite du samedi, 31 mars. Mais,
quand il resterait un doute sur les circonstances accessoires,
les deux témoignages n'en sont pas moins incontestables
au fond. Manchon, qui sait si bien défendre son procès-verbal, et qui, à cette occasion encore, prétend qu'il a écrit tout ce qu'il a entendu, s'avoue coupable par le fait,
puisqu'il rapporte ici un conseil d'Isambard et une déclaration
de soumission de la Pucelle qu'on ne trouve nulle part
dans les actes du procès. Quant à Isambard de la Pierre,
rapporter son témoignage à une occasion où le procèsverbal
fait, il est vrai, poser à Jeanne la question du concile,
mais pour constater qu'elle refuse de répondre, ce
n'est rien concilier; et son témoignage, qu'on n'accuse pas
de mensonge, ne peut être taxé d'inexactitude involontaire.
Ses souvenirs sont très-précis; j'en juge par cette parole
de Jeanne, qui est une protestation contre le système entier du procès-verbal : « Ah! vous écrivez tout ce qui est contre moi, et vous ne voulez pas écrire ce qui est pour moi. »
Parole décisive que le témoin n'a pas pu oublier, et qu'un
historien ne devrait pas omettre dans l'examen de cette
question.
Ce ne sont pas les seuls faits qui concernent la soumission
de Jeanne à l'Église. Nous retrouverons dans le procès-verbal même des déclarations non moins décisives,
mais nous ne voulons pas dépasser la limite des interrogatoires
que les douze articles avaient la prétention de résumer.
La démonstration se complétera plus tard (1).
Source
: Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879.
Notes :
1 Tém. de Manchon sur Isambard : « Dicit ulterius audivisse, dum
ipsa Johanna summabatur de se submittendo Ecclesiæ, dum frater Isambardus
de Petra suaderet sibi quod se submitteret concilio generali, (quod) episcopus
Belvacensis hoc audiens, eidem fratri Bardino dixit : Taceatis, in nomine
diaboli ! » t. II, p. 343. — Époque de la visite : « In hebdomade sancta, t. III,
p. 139; durante processu in hebdomade sancta vel circa, » t. II, p. 341. —
Le conseil donné en séance : « Et fuit hoc in judicio, quando ipsa Johanna
examinabatur, » ibid., p. 343. Voyez l'opinion que nous combattons dans
M. H. Martin, Hist. de France, t. VI, p. 272-274, note.
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