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Extrait du "Recouvrement de la Normandie"
de Robert Blondel |
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obert Blondel fut un poète, un historien et un
moraliste. Vallet de Viriville le fit connaître en 1851 dans un Mémoire
imprimé pour le Recueil de la Société archéologique de Normandie.
D'après la notice que lui a consacrée l'érudit paléographe, Robert
Blondel est un Normand, plus probablement originaire de Valognes. Il
serait né entre 1380 et 1400. En 1420, il composa en vers hexamètres un poème d'environ mille vers, sous ce titre: la Complainte des bons Français
(De complanctu bonorum Gallicorum). Bon Français, Blondel l'était,
puisque, comme Thomas Basin qu'il loue dans un autre de ses écrits, il
avait fui la Normandie pour échapper à la domination anglaise. Son
poème, que nous avons parcouru, n'est pas toujours en règle avec les
lois d'une stricte prosodie, mais il est plein d'un souffle de patriotisme
qui n'a rien de factice. Il fut traduit en vers français par un clerc
normand du nom de Robinet.
Robert Blondel était prêtre. En 1449, lors de la rupture des trêves
avec les Anglais, il faisait l'éducation du comte d'Étampes, fils de Robert
de Bretagne. Il écrivit, cette fois en prose latine, une exhortation véhémente à Charles VII, pour le pousser à entreprendre la conquête de la
Normandie. L'ouvrage intitulé Oratio historialis se trouve à la Bibliothèque
nationale, sous la cote 13838. Il en existe encore deux copies,
(cotes 6234 et 5964), cette dernière de la main d'André Duchesne. Le langage
de Blondel est hardi, si hardi que le scribe Anquetil, chargé de
présenter le livre au roi, craignait d'exécuter l'ordre reçu, et ne l'accomplit
que sur commandement réitéré. Blondel ne ménage pas les objurgations
pour secouer l'inertie de Charles VII ; il se fait la plus haute idée
de la mission de la France, et encore que la Pucelle n'eût pas encore été réhabilitée, il ne doute pas qu'elle n'ait été miraculeusement envoyée
par le Ciel. Il en parle à deux reprises dans l'Oratio historialis.
Au chapitre XLI, à propos de l'usurpation de la couronne de France
par Henri de Lancastre, il écrit : « La couronne de France n'était ni
vermoulue, ni brisée ; Henri, notre plus antique ennemi, s'en saisit et la
déroba. Une funeste conjuration l'en déclara l'héritier. Le bras de Dieu
la lui enleva, et par le mystère de la Vierge envoyée d'en haut, il la
replaça miraculeusement, contre toute attente, sur la tête de Charles,
que la fraude et la haine en avaient injustement dépouillé. »
Il est plus explicite et plus étendu au chapitre XLIII ; et il tire pour le roi et pour la France du miracle de la Pucelle des conséquences en parfaite conformité avec les sentiments de Jeanne ; nous ne résistons pas au plaisir de citer. Après avoir donné plusieurs preuves que Charles VII avait été injustement déshérité par le traité de Troyes, il présente comme supérieur à tous les autres l'argument tiré de la mission de la Pucelle. Voici comment il s'exprime :
« Ne parlons pas, j'y consens, de votre injuste et criminelle exhérédation. Votre miraculeux couronnement, très illustre prince, enlève tout argument et tout doute aux hommes de sens. Vous étiez réduit à la dernière extrémité. Est-ce par la puissance des hommes, par le secours des princes que vous avez pu recevoir votre très auguste sacre ? Pour un si haut mystère, une simple Pucelle, innocente, née dans une humble condition, vous a été envoyée par Dieu, ainsi qu'il faut pieusement le croire. Vous étiez envahi de toutes parts: ce que les hommes ne pouvaient pas faire, elle l'a fait ; elle vous a apporté un secours tombé du Ciel.
A travers les rangs d'ennemis acharnés, triomphant de cruels tyrans, ce que vous ne pouviez pas attendre des efforts humains, elle vous a glorieusement introduit à Reims. Là la sainte ampoule, jusqu'alors desséchée, a débordé d'une huile céleste, et avec votre sacre vous avez reçu
les insignes de la royauté.
O Charles, roi Très-Chrétien, par les entrailles de Jésus-Christ dont par droit héréditaire vous êtes le vassal privilégié, écoutez ce que la sincère affection de ma charité, le zèle de l'extension de la foi me pressent de dire à votre piété. Vous avez à relever votre royaume calamiteusement affligé, à venger le patrimoine du Christ souillé par les infidèles. Méditez souvent le très haut mystère de votre couronnement, la délivrance qu'en ce jour vous avez promise à votre peuple. Ce que
par serment vous avez promis à votre couronne et à votre royaume,
hâtez-vous d'en faire sentir les salutaires effets. Sans quoi je redoute que
le suprême Empereur, qui tient dans sa main tous les États, mais particulièrement
le vôtre comme son royaume de prédilection, ne vous fasse
sentir les effets de sa colère, en punition de l'oubli de ses immenses
bienfaits...
O Charles, athlète très particulièrement prédestiné à la défense de
la foi, que tardez-vous à délivrer votre
royaume des durs oppresseurs... qui vous empêchent de secourir le
saint patrimoine du Christ si dévasté... de trouver partout des actes de
vertu à exercer. Poursuivez vaillamment la guerre, et, c'est ma ferme
conviction, jamais coeur ne rêva de demander à Dieu une victoire pareilleà celle qui attend les lis en France et dans le monde, si vous savez vous
montrer courageux. »
Cette promesse est celle qui termine la lettre de Jeanne aux Anglais,
alors qu'elle assure qu'en sa compagnie les Français accompliront en faveur de la chrétienté le plus beau fait qui encore ait été fait. Le largage de Blondel rend si bien raison de la faveur unique accordée à la France par la Pucelle, il est si bien en accord avec les sentiments intimes de la Libératrice, qu'on nous pardonnera d'en traduire encore quelques lignes. Blondel dans une hardie prosopopée fait parler les prédécesseurs de Charles VII. Voici, au chapitre XVLI, quelques-unes des paroles par lesquelles saint Louis presse Charles VII d'expulser les Anglais :
« De tous les Etats policés, le plus excellent c'est le royaume de France quand il ne forme qu'un seul et même corps. La foi chrétienne lui
confère un éclat sans pareil. La puissance divine le dirige et le gouverne
avec les tempéraments d'une souveraine équité. Ceux qui sont appelés à le régir doivent unir pour le défendre le courage d'un grand coeur à
une joyeuse ardeur pour le métier des armes. Le corps vit par l'âme,
le royaume de France par la vraie religion ; la foi du Christ en est la
suprême loi. O cher petit-fils, appelé à être à la tête d'un si beau
royaume, ce n'est pas pour vous endormir dans le repos et l'inertie;
vous êtes né non pour vous, mais pour le salut et la défense de votre
royaume et de la foi catholique. »
On aime à croire que ces objurgations réveillèrent Charles VII, plus
que les reproches de la Sorel, dont nous parlent certaines histoires. Ce
qui est certain, c'est que la conquête de la Normandie et de la Guyenne
suivirent de très près; celle de la Normandie l'année même, celle de la
Guyenne l'année suivante. Le glorieux événement tenta la plume de Robert
Blondel. Il écrivit sous le titre de Reductio Normanniæ (Recouvrement
de la Normandie) un volume dont la Bibliothèque nationale possède trois
copies, dans le fonds latin, nos 5964, 6194, 6198. Il fut composé en 1454.
Robert Blondel était alors le précepteur de Charles, duc de Berry, le
second fils de Charles VII, et le fils préféré depuis que le fils aîné, le
futur Louis XI, donnait à son père de si amers déboires.
Dans ce nouvel ouvrage, Blondel a une page sur la Pucelle. :
- traduction
Texte original du document :
[De sacrilega ecclesiæ de Cleriaco exspoliatione, et de succursu Puellæ et miraculosa
obsidionis Anglorum expugnatione, et de inopinata regis Karoli Franciæ coronatione].
Anglica gens rapax, gens sacrilega, quum immanibus
undenis arcibus illam, fide et armis perspicuam
urbem regni conservatricem, Aurelianis, obsessam
[tenere] tibi gravissimus labor erat : celeberrimum
variis et infinitis miraculis illustratum nostræ dominæ
Virginis Mariæ de Cleriaco, templum, sacris donariis
et pagum profanis deprædari audax fuisti. Exinde omnia infausta tibi sacrilegæ procedunt ; nempe ille
truculentus comes Salberiensis, crudæ obsidionis director,
e Pontis arcis fenestra, intus reconditus, splendidam
urbis compositionem prospectans, ab ignoto
auctore, quanquam quidam aiunt juvene, jactatus,
plaga qua percussus occubuit, letifere sauciatur. Hoc
exstincto bellorum ductore, obsidentium tum industria
et corporis vigor exstiticti marcescunt. Ad ultimum strenua Puella viriles animum ac habitum, ut belli
expeditio sibi divinitus commissa necessario urgebat,
induta ; re militari non ab homine, cæterum a Deo
imbuta, ad tuam efferatam proterviam confundendam
e coelo collapsa est. Immanitatem tuarum arcium horrendam,
primo illius Pontis, si regum potentia, si
nationum multitudo in ipsam dimicaret, scuto et
lancea inexpugnabilis ; deinceps alterius Sancti Lupi
inaudito assultu, mortalium viribus præstantiori, militantibus
Anglicis intus stratis, absque sanguine
gallico, funditus evertit. Alii cæterarum custodes,
tanta clade inopinata perterriti suas munitiones
novo insultu adeundas, fuga turpiter arrepta, victrici
Puellæ cedunt. Hæc armipotens coelesti subsidio freta,
gressu properato incedens, rure Patheaco assecutos,
medios per hostes ruit ferocissimos. Mirum ! velut
inepta membra et manus abscissas gererent, corpore
robusti et bello exercitatissimi, invasi, minus reluctantes
truncantur ; ac alii huc illuc per sepes et dumos
fusi, miseranda caede ut porci ad macellum expositi,
non dico a militibus, verum a rusticis bello
inexpertis, trucidantur. Hoc prælio confecto, in prævalidam
Gergolii supra Ligerim munitionem facile cum
parva manu ab hostibus tutandam, hæc strenuissima
bellatrix insultu aggreditur ; in quo barbaros octingentos
repertos, arcu et gladio ferocissimos, omnes
aut cæsos vel captos, incredibili et plus quam humana
armorum virtule, perdomuit.
Ante salutarem istius Puellæ succursum, tanta rei
adveisæ turbatio ac diffidentia a regni tuitione pugnaturos
in ferocissimos aggiessores, fidelium etiam
Delphini, animos labefactos depressit, quod, urbe subacta, omni spe subsidii destitutæ ceeleræ civitates
et castra, præsertim supra Ligerim constituta, victori
hosti cessuræ erant ; nec alio opportuno remedio,
uisi patria deserta, domini Delphini salutem
consiliarii, tanti mali asperitate perplexi, opinabantur.
Verum hæc Puella sancto Spiritu monita ac divino fervore accensa, infortunii lapsum sua præstantissima
virtute reparans, per mediam hostium confertissimorum
ferocitatem, Karolum tunc Delphinum coelesti
oleo consecrandum Remis transduxit. Et qui modo
nefanda suorum conjuratione a regno exhæredatus,
velut coronæ hostis, a perfidis impugnatur, nunc
providentia divina sacro diademate redimitus, verus et legitimus sceptri hæres, in regem sublimatur.
[Chapitre XII de la IVe partie (f° 94 du n° 5964)]
Angleterre, nation rapace, nation sacrilège, combien fut laborieux pour toi avec ses onze immenses bastilles, le siège de la ville illustre
par sa foi et sa valeur, de la ville boulevard du royaume, d'Orléans. Tu
osas bien profaner et piller, avec le village adjacent, le temple de Notre-Dame-de-Cléry, fameux par d'infinis miracles de tout genre, riche de
tant de dons. Ce fut, ô sacrilège, le principe de tes revers.
Ce féroce comte de Salisbury, conducteur de ce siège barbare, à
demi caché regardait par la fenêtre de la citadelle du pont l'assiette de la
ville, lorsque d'une main inconnue, quelques-uns disent de celle d'un jeune homme, part le coup qui le renverse, le meurtrit mortellement,
lui fait la blessure à laquelle il ne tarda pas à succomber. Le chef de
l'expédition emporté par la mort, les assiégés sentent faiblir et la vigueur
de leur esprit et la force de leur corps. A la fin arrive la vaillante Pucelle. Ainsi que l'exigeait la mission
reçue d'en haut, elle porte un coeur et un vêtement virils. Ce ne sont
pas les hommes qui l'ont formée à la guerre, c'est Dieu; c'est le Ciel
qui l'envoie pour confondre, ô Angleterre, ton insolence sans frein.
En vain tu as dressé la formidable masse de tes forteresses, et en particulier celle du pont, inexpugnable à la puissance des rois et des nations,
s'ils ne l'avaient attaquée qu'avec le glaive et le bouclier. Elle la renverse
la première de fond en comble, et ensuite celle de Saint-Loup, dans un
assaut inouï, supérieur aux forces humaines, où elle marche sur le corps
des Anglais qui les défendent, sans effusion de sang français. Pareil
désastre, si soudain, frappe de terreur ceux qui gardent les autres forts.
Ils n'attendent pas un nouvel assaut; fuyant honteusement, ils abandonnent
toutes leurs positions à la Pucelle victorieuse. Forte de l'appui du Ciel, la puissante guerrière précipite sa course,
atteint les ennemis aux champs de Patay, et se jette sur leurs rangs.
O merveille, ces guerriers si fiers, si robustes de corps, si exercés à la
guerre, semblent paralysés des membres et des bras. Attaqués, ils
résistent mollement et sont massacrés. D'autres, dispersés çà et là dans
les haies et les buissons, pareils à des porcs à l'abattoir, se laissent égorger, je ne dis pas par les soldats, mais par des paysans étrangers au métier des armes. A la suite de ce combat, c'est le tour de Jargeau, une place forte sur
la Loire qu'une poignée de braves pouvait défendre. L'intrépide Guerrière
l'attaque. Huit cents barbares y étaient renfermés, également habiles à
manier l'arc et le glaive. Massacrés, faits prisonniers, ils succombent
sous les merveilleux coups d'une valeur plus qu'humaine.
Avant le secours apporté par cette Pucelle, les revers avaient tellement
abattu, découragé ceux qui avaient le devoir de repousser les terribles
envahisseurs, même ceux qui étaient restés fidèles au Dauphin,
qu'Orléans une fois conquis, les autres villes et forteresses, celles surtout
des bords de la Loire, n'ayant aucune espérance d'être secourues, allaient
s'ouvrir à l'ennemi victorieux. En présence de si durs revers, les conseillers
du Dauphin, flottant incertains, étaient d'avis que le meilleur
parti était de fuir la patrie. Mais cette Pucelle formée par le Saint-Esprit,
pleine d'un feu divin, répare le désastre par son très éminent courage. Elle conduit, à travers des nuées d'ennemis farouches, Charles alors
Dauphin, jusqu'à Reims pour y recevoir la céleste onction. Celui qui
naguère, dépouillé du royaume par l'infâme conjuration des siens, était
poursuivi par des traîtres comme l'ennemi de la couronne, est maintenant
ceint du sacré diadème par la Providence de Dieu ; vrai et légitime
héritier du sceptre, il est comme tel élevé sur le trône. (1)
Source : Présentation et traduction : J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc" - t.III, p. 385 à 390.
Texte original : Quicherat, t.IV, p. 347 à 349.
Notes :
1 Quand Blondel écrivait cette page, le procès de réhabilitation était entrepris, mais la sentence n'était pas rendue. On ignore la date de la mort du prêtre si français ; il vivait encore en 1460. Il écrivit, ou tout au
moins traduisit, à la demande de la reine, la pieuse Marie d'Anjou, le
Traité ascétique des douze portes de l'enfer.
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