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Jean Bouchet

ean Bouchet est un des écrivains les plus féconds de la première partie du XVIe siècle. Né à Poitiers en 1474, il y mourut vers 1550, après une vie consacrée aux fonctions de la magistrature et à la composition de nombreux ouvrages. Le plus remarquable est celui des Annales d'Aquitaine. S'il insiste particulièrement sur l'histoire de la province, et surtout de sa ville natale, il embrasse en réalité l'histoire de France tout entière, et même l'histoire de l'Angleterre. Quelques pages sont consacrées à la Pucelle. Bouchet s'est inspiré de son contemporain Alain Bouchard; il n'est pourtant pas exact de dire qu'il n'a fait que le reproduire; il y a des particularités qui ne sont pas dans l'auteur des Annales de Bretagne. Le soin de rendre à sa manière des faits rapportés par l'auteur des Annales de Bretagne prouve un travail personnel. Les passages qui vont être reproduits sont les seuls qui offrent quelque intérêt.


                                                         


  [Après avoir rapporté que les Orléanais ne voyaient plus de moyen de faire lever le siège, il continue en ces termes, à quelques rajeunissements près.]

  En si grosse affaire, Dieu n'oublia pas le roi de France, ni son royaume; car il lui envoya une simple bergère de dix-huit ans ou environ, nommée Jeanne, native du village de Dompreme (sic) près de Vaucouleurs en Lorraine, qui pour l'intégrité de sa vie était nommée la Pucelle. Elle s'adressa à Messire Robert de Baudricourt, capitaine dudit lieu de Vaucouleurs, et le pria qu'elle parlât au roi pour son profit. Cela fut trouvé étrange par les princes et par ceux qui étaient près de la personne du roi. Toutefois, après que l'on eût envoyé quérir son père nommé Jacques Dart (sic), Isabelle sa mère, qui étaient de simples gens de labeur, de bonne et honnête vie et conversation, et qu'ils eurent su de leur bouche que Jeanne leur dite fille ne s'était jamais appliquée à autre chose qu'à garder les brebis, et qu'elle leur avait depuis naguère dit que la Vierge Marie s'était apparue à elle, et lui avait commandé de venir par devers le roi le secourir en ses affaires, et l'avertir d'aucunes choses en vue de son profit et honneur, ils lui avaient donné congé de ce faire (1). Ladite Jeanne fut mise entre les mains des docteurs et autres gens, et par eux interrogée tant sur sa vie que sur quelques points de notre foi ; elle répondit non comme une simple fille, mais comme le plus grand docteur qu'on eût su trouver; et parce qu'ils connurent qu'il n'y avait aucune superstition, ils pensèrent que c'était une chose permise de Dieu. A cette raison ils la firent parler au roi, lequel pour la tenter fit mettre un autre prince au-dessus de lui, et en plus grand état; mais elle le choisit entre les autres, et après l'avoir salué de par Dieu et la Vierge Marie, elle demanda à lui parler en secret, ce que le roi lui permit en pleine salle; il fit reculer de lui tous ceux qui étaient en sa compagnie à un coin de ladite salle; puis ils parlèrent ensemble, et comme ils parlaient on voyait que les larmes tombaient des yeux du roi de France à grande abondance. On n'en sut jamais la cause, sinon après la mort de ladite Pucelle qu'il déclara qu'un mois environ avant que ladite Pucelle vînt vers lui, comme il pensait une nuit en son lit aux grandes affaires qu'il avait, il se leva tout en chemise, et à genoux, aux pieds de son lit, il pria Notre-Seigneur que son plaisir fût de lui donner secours, si lui, qui connaît toutes choses, voyait qu'il eût bon droit en ses guerres et querelles. Ladite Pucelle... pria le roi qu'il lui envoya quérir en l'église Sainte-Catherine-de-Fierbois, où alors il y avait port (affluence ) de pèlerins, une épée qui était entre les ferrailles des prisonniers, qui s'étaient recommandés à cette sainte, et avaient fait leur voyage (pèlerinage) audit lieu, encore que la Pucelle n'y eût jamais été. Ce que fit le roi ; et ladite épée fut apportée. Les Chroniques que j'ai vues ne déclarent point le lieu auquel la Pucelle parla pour la première fois au roi Charles Septième. J'ai ouï dire en ma jeunesse, et l'an mil quatre cent quatre-vingt-quinze, à feu Christophe du Peirant, demeurant alors à Poitiers et près de ma maison, qui avait près de cent ans, que en ma maison il y avait une hôtellerie où pendait l'enseigne de la Rose, où ladite Jeanne était logée, et qu'il la vit monter à cheval tout armée à blanc pour aller audit lieu d'Orléans (2) ; et il me montra une petite pierre qui est au coin de la rue Saint-Etienne où elle prit avantage pour monter sur son cheval... (3)

  [Bouchet raconte ensuite la délivrance d'Orléans, où, entre autres inexactitudes, il fait mourir Salisbury le dernier jour du siège; il indique en courant les autres conquêtes de la Pucelle sans parler de l'assaut contre Paris. Il y intercale le portrait suivant de la Pucelle :]

  Les princes, voyaient que c'était chose divine que d'elle. Trois fois par semaine elle jeûnait, elle se confessait et recevait le très précieux corps de Jésus-Christ chacun dimanche, jamais ne jurait ni ne disait parole scandaleuse; elle faisait tout au nom de Jésus, et quand elle arrivait à une hôtellerie, elle faisait toujours coucher avec elle l'hôtesse ou une de ses filles, ou une chambrière, et jamais homme n'entrait dans sa chambre jusqu'à ce qu'elle fût de tout point vêtue et habillée.

  [Pour Bouchet comme pour Bouchard, Flavy a vendu la Pucelle. Après avoir dit que Flavy était capitaine de Compiègne et que la Pucelle s'y était jetée, il écrit :]

   Au commencement de juin 1430, Messire Jean de Luxembourg, les comtes de Hauton et d'Arondel avec une grande compagnie de Bourguignons allèrent assiéger ladite ville de Compiègne. Et par l'intelligence que ledit capitaine de Flavy avait avec eux, auxquels il avait vendu la Pucelle, il trouva moyen de l'envoyer vers le roi quérir des gens à diligence pour faire lever le siège, et il la fit passer par une des portes où n'était pas le siège. Avant de partir, elle fit dire une messe bien matin en l'église Saint-Jacques où elle se confessa et reçut le très saint sacrement de l'autel. Et en sortant de l'église, où plusieurs gens s'étaient assemblés pour la voir, elle leur dit : « Messeigneurs et amis, je vous signifie qu'on m'a vendue et trahie, et que de brief on me fera mourir; priez Dieu pour moi ». Et comme elle fut sortie ayant en sa compagnie de XXV à XXX archers, à un quart de lieue de la ville elle aperçut Luxembourg et autres ennemis du roi en grand nombre; elle voulut se sauver en la ville, mais le traître de Flavy, incontinent après son partement, avait fait fermer les portes de la ville ; par quoi elle fut prise et depuis vendue aux Anglais. L'on ne put pas prouver la trahison de Flavy, qui de Dieu en fut puni après ; car sa femme, nommée Blanche d'Aurebruch qui était belle demoiselle, le suffoqua et étrangla par l'aide de son barbier, lorsqu'il était couché au lit, en son châtel de Nesle-en-Tardenois; dont depuis elle eut grâce et rémission du roi Charles VII, parce qu'elle prouva que ledit de Flavy avait entrepris de la faire noyer.

  [Bouchet raconte brièvement, et non sans quelques inexactitudes, la captivité et le martyre de Rouen et il ajoute :]

  Oncques depuis les Anglais ne prospérèrent en France. Maître Jean Gerson, docteur en théologie, chancelier de l'Université de Paris, qui fut homme de grandes lettres et de droite et approuvée vie, a fait un Traité contre ceux qui ont détraicté (mal parlé ) de cette Pucelle ; ensemble un autre docteur nommé messire Henri de Gerchkeim (Gorkum) commençant : Me tulit Dominus.

  [L'auteur des Annales d'Aquitaine a composé ce qu'il intitule l'épitaphe de la Pucelle ; elle comprend plus de cinquante vers. C'est Jeanne qui parle, voici la dernière strophe :]

            Je faisais tout au nom Dieu glorieux,
            Lequel j'aimais comme son humble ancelle ;
            On me nommait partout Jeanne Pucelle,
            Car chaste fus de corps et de l'esprit ;
            Souvent prenais le corps de Jésus Christ,
            Et si jeûnais trois fois en la semaine.
            Puis cestuy-là qui tous ses servants meyne
            Après avoir en ce monde souffert
            En Paradis m'a ce logis offert.

                                                 



Sources : Présentation et mise en français moderne : J.B.J Ayroles "La vraie Jeanne d'Arc – t.III", p.292-295.

Notes : (La première note est d'Ayrolles, les deux suivantes de Quicherat)

1 Le père et la mère de la Pucelle ne furent pas à Chinon, mais Baudricourt a dû les voir, les interroger minutieusement, soit à Vaucouleurs, soit à Domrémy. Il a transmis ces informations à la cour. Il peut se faire que Jacques d'Arc et sa femme aient donné leur consentement au départ de leur fille, avant même qu'elle eût quitté Vaucouleurs.

2 André Thevet, dans sa Chorographie universelle (t. II, fol. 581), répète le même fait comme le tenant de la bouche même de Jean Bouchet.

3 Cette pierre, ou une autre qui passe pour celle-là, est déposée aujourd'hui au Musée de Poitiers.



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