La chronique normande du British Museum
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allet de Viriville a trouvé au British Museum (n°1542) un manuscrit
du XVe siècle, renfermant une histoire incomplète de la Normandie. On
y lit sur la Pucelle un passage que l'auteur de la découverte a imprimé
dans ses Historiens de Charles VII, à la suite de la Chronique de Jean
Chartier.
Ce passage ne renferme rien que les chroniqueurs déjà cités ne nous
aient dit bien souvent, et d'une manière beaucoup moins inexacte.
1429
L'an mil quatre cent vingt neuf (1), la Pucelle arriva devers le roy (2), qui pour lors y estoit; disoit et remonstroit qu'elle estoit venue par la grâce Nostre-Seigneur pour donner aide et secours à la ville d'Orléans, qui pour lors estoit asségié de toutes pars par le conte de Salisberry, qui y fut tué d'un canon, le conte de Suffolc, le seigneur de Taillebot et autrez Englez. Et combien que plusieurs se esmervilloient des termez et offrez qu'elle faisoit, fut examinéee par notables clercs. Par lesquelz fut trouvé que en elle n'avoit maulvestié, mez à leur avis estoit conduite de la grâce de Dieu. Par quoi elle fut mise en armez et conduite au marechal de Rez (3), et après qu'elle eult assemblé des gens d'armes ce que en peult finer, tira devant Orléens.
Et incontinent assaillirent la bestille assise devant le bout du pont, laquelle estoit si fort emparée et fournie de gens et d'artillerie qu'elle estoit gagiée imprenable d'assault. Mès nééanmoins, o l'eide de ceulz de la ville, dont partie passa en batiaulx pour leur venir aider, icelle bastille fut prinze d'assault, et Classidas noié, qui en estoit garde. Et tout le surplous des aultrez Englez mors et prins, et guèrez n'en demoura en vie. Et après la prinse d'icelle bastille, furent les tours de dessus le pont prinzes et gaignez sans arester. Parquoy ledit mareschal et la Pucelle entrèrent dedens la ville d'Orléens à grande joie, et ne demoura guères que le siège de l'aultre part, où estoit le conte de Suffolc, le sieur de Tallebot et aultres signours d'Englez en bastillez, loges fortes et bien closes, grans fossez parfons alans de l'un à l'autre. Yssirent de ladite ville d'Orléens ledit mareschal et ladite Pucelle et leur compengnie, vindrent, assaillirent et prindrent d'assault l'une desdites bastilles et tuèrent tous les Englez qu'ils trouvèrent dedens. Et la nuit ensuivant désemparèrent ledit Suffolk et Tallebot des aultrez bastilles, et se retirèrent les ungs à Gyen et les aultres à Mehun sur Loire et à Bourgency. Et bientost après icelle Jehenne la Pucelle et sa compengnye ala devant Gergeau, où estoit le conte de Suffolc et Messire Alexandre son frère (4), avec six ou sept cents Englez. Laquelle ville fut assaillie et prinze d'assault, et demoura ledit conte de Suffolc prins, et le signour de la Poule, son frère, qui depuis moururent, et Messire Alexandre, son aultre frère, mort, et tous les aultres Englez, saouf bien pou qui furent prins en vie.
Et ne demoura guèrez que ladite Pucelle et la compengnye s'en vint à Mehun sur Loire; en laquelle ville les Englès qui dedens estoient ne l'osèrent attendre, mès se désemparèrent et y laissèrent grand nombre d'articlerie qu'ils avoient recuilly du siège d'Orléens.
Après laquelle ville recouvrée, icelle Pucelle et sa compengnye tira à Boigency, qu'elle print par composicion pour haste d'aller renconstrer sur les champs les Englez qui la venoient secourir; et là estoit Monseigneur d'Alençon, Monseigneur d'Albret, Monseigneur de Sainte-Sévère et aultrez. Et à Patay furent rencontrés les Englès, combatus et déconfiz, et y demourèrent le seigneur de Tallebot, le signour de Scallez et aultrez plusieurs prisonniers. messire Jehan Fastol et plusieurs aultres s'enfuyrent, et y demoura plus de deux mille mors.
L'an mil quatre cent vingt-neuf dessus dit, par le conseil et entrprinze de ladite Pucelle, se partit le roy de Bourgez (5) pour soy aler couronner à Rains; et en traversant païz, print Troyez en Champagn, parce qu'ils véoient la puissance du roy preste de bailler l'assault. Et là arivé, se fist couronner o les sollempnités accoustumées le dix-septiesme jour de juillet audit an.
Après laquelle chose faicte, s'en vint à Saint-Denis, et en y venant mis Beauvoir, Senlis et aultrez placez en son obeissance. Et le roy estant en ladicte ville de Saint-Denis, il y entra sans nul contredit (6). La Pucelle accompagnée de Monseigneur d'Alençon et de partye des gens du roy alèrent devant Paris, et, incontinent qu'ilz furent arrivés, firent saillir leurs gent à pié ès fossés pour donner l'assault. A quoy ceulx de la place firent grand résistence, en tirant fort de canons et grosses arbalestes, qui pou de mal firent, fors à la Pucelle, qui fut bléciée d'un vireton par son hernays de jambez; par quoi elle et ses gens se retirèrent de Saint-Denis, devers le roy, lequel bientost après se partit et s'en vint passer Saine et reffreschir à Tours et à Chinon.
1430
L'an mil IIIIC XXX (7), après ce que le roy fut retourné
de son couronnement et arivé en Touraine, la Pucelle
retourna au pays de France où estoient demourez
grant partie des gens du roy, tant à Compiengne que
èz placez qu'il avoit conquises. Et après ce qu'elle
eust tournyé et veu partie du païs, se retira audit lieu
de Compiengne. Et elle estant dedens, les Bourgoignons vindrent courir devant ; et à l'entour avoient mis plusieurs embusches. Et à l'escarmuce yssit icelle
Pucelle avec plusieurs de ses gens ; et se lancha avant
tant qu'elle se trouva entre lesdictes embucez, où
elle fut prinze et emmenée d'iceux Bourgoignons.
Et aprez qu'ilz l'eurent longuement gardée, la vendirent
ès Englez qui l'achethèrent bien chièrement
Et
après ce, la menèrent en la ville de Rouen où elle fut
emprisonnée l'espace de long temps et questionnée
par les plus grans hommes, et sages et grignours clers
de tout leur party pour savoir ses vittores, qu'elle
avoit euez sur eulz, estoient faictes par enchantemens, caraulx (8) ou aultrement. Laquelle il trouvèrent de
si belle response, en leur baillant solucions si raisonnables,
qu'il n'y eut oncques nul qui par long temps
l'osast jugier à mort selon droit. Mais finablement
la firent ardre publiquement, ou autre femme eu semblable d'elle. De quoy moult de gens ont esté et encore
sont de diverses oppinions (9).
Source
:
- Texte original : Vallet de Viriville - Chronique de Charles VII de Jean Chartier (publiée en 1858), t.III p. 200 et suiv.
Ce texte est plus complet que celui que Quicherat publia dans son tome IV, p.343 & 344, en particulier toute l'année 1429. Ayroles est incomplet également.
Notes :
1 1429 nouveau style, Pâques le 27 mars.
2 L'auteur a sans doute oublié "Chinon".
3 On remarquera que l'auteur donne déjà le titre de "Maréchal" alors que l'intéressé ne le sera qu'après le sacre de Reims.
4 Alexander Pole
5 Il partit de Chinon. Le rendez-vous général était à Gien.
6 Le 28 août, départ le 12 septembre 1429.
7 Pâques le 16 avril.
8 Danses magiques.
9 On voit que l'auteur normand de cette chronique révoque en doute la mort de la Pucelle.
Ce doute se trouve exprimé par plusieurs autres auteurs ; entre autres
par celui d'une chronique abrégée, exécutée en Bretagne en 1440, dont le manuscrit
se trouve à la bibliothèque Sainte-Geneviève (n. 1155 , olim L. 2). On
y lit : « L'an mil cccc xxxi, la veille du Sacrement, fut la Pucelle bruslée à « Rouen ou condampnée à l'estre. » Symphorien Champier, dans La nef des
Dames, imprimée à Lyon en 1503, écrit encore : « Ceste pucelle fut femme de grant esperit, tant par prouesse et noblesse d'armes comme par subtilité d'entendement ; et ressembloit plus estre chose spirituelle que corporelle par les armes et prouesses qu'elle fit ; car elle se porta si vaillamment contre lesditz Angloys, qu'elle les chassa vertueusement de plusieurs villes de France, comme de Paris, de devant Orléans et plusieurs autres lieux. Et à la parfin, fut en trayson prinse et baillée aux Angloys qui, en despit des Françoys, la bruslèrent à Rouen; ce disent-ilz neanmoins : que les François le nyent. Pourquoy l'on la compare proprement à Penthasilée.»
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