Le greffier de l'Hôtel de Ville d'Albi
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lby avait fait à Orléans assiégé un large envoi de poudre et de salpêtre. Aussi la nouvelle de l'intervention de la Pucelle y causa-t-elle
une telle admiration que le greffier de la municipalité en consigna le récit
dans ses registres. Ce récit se lit au cartulaire n° 4 de l'hôtel de ville, d'où
M. Compayré l'a tiré et imprimé en 1841 dans les Études historiques et
documents inédits sur l'Albigeois. Quicherat, qui l'a reproduit, ajoute qu'on
en trouve une copie dans les manuscrits de Doat (t. IX, f° 287) à la Bibliothèque
nationale. Il est rédigé en langue romane.
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Memorial sia a totz presens et endevenidors d'una
mirabilhoza cauza que Nostre Senhor Dieus Jehsus
Christ mostret al noble prinsep et nostre sobiran
senhor lo rey de Franssa, Karles, filh de Karles. So es
assaber que en lo mes de mars, l'an mil CCCC XXVIII,
venc al dich noble rey de Franssa una filha, Piuzela
jobe de l'atge de quatorse a quinse ans, la cal era del
pais e del dugat de Loreyne, local pais es en las partidas
d'Alamanha. Ed era ladicha Piuzela una pastorela
ignossen, que tos tems avia gardadas las hobelhas. Et venc al rey ellos tems dessudihtz en la viala
de Chino, acompanhada de sos dos frayres ; e d'autres
ela companhian en petita companhia. Et cant ela foc de
par dela, ela va dire que ela volia parlar am lo rey,
local no l'apelaba pas rey, mas dalfi, per so car non
era coronat. Don ly foron mostratz d'alqus cavaliers,
dizen ly que aquo era lo rey ; es ela disia totzjorn que
non era ; e cant ela lo vigra, ela lo conogra be. Es
adonc lo rey ba benir, ed ela, tantost que ela lo vic, se ba aginolhar et ly ba dire que Dieus la tremetia a luy, et lo nouminaba gential rey de Fransa, e que se el volia creyre que ela era vienguda aqui per mandamen de Dieus, e recobriria tot so que los Englezes, enemicx ancias del rey, li avian pres et asurpat. So es que tenian tots loz pais de Normandia et de Picardia fora Tornay, de Beubezi, de Mayna et d'Artois, de Bria, de Beussa et tota la Campanha, Paris et tota
la dolsa Franssa, lo pais d'Aynaut et de Combrazis,
fins à la rebieyra de Leyre. Car en aquel tems los
Englezes tenian assetiada la viala d'Orlhenx en que
avia dendins cinq cens homes d'armas; mas aquel
seti era talament fort, que los homes d'armas, ni las
gens de la viala, ni encara tot lo poder del rey, no era abastan de lo levar ; ans eron en prepaus los d'endedins
des se redre à la merssi dels Englezes : don lo rey
era ben torbat se perdes tan bona viala coma es aquella.
Et vezen la Piuzela que lo rey era torbat, li ba dire
aquestas paraulas :
« Gential rey de Franssa, que avetz vos ? Vos etz corossat de vostra viala d'Orlhenx. leu lour voli tramettre une lettra lacal fara mencio que Dieus lor manda que se levon d'avant la viala et s'en ano ; car se non ho fazian, els calria que s'en levesso per forssa. »
Et cant los capitanis agro legida
la letra que la Piuzela lor trames, li diseron
grans vituperis es enjurias. Es aguda la resposta de la
dicha letra, la Piuzela va dire al rey que hages gens
d'armas et de trach ; et sis fes, et fec son mandamen ;
es ela se mes tota premieyra sus, armada de fer blanc
tota de cap a pe ; et te son estandart en que era Nostra
Dona, et s'en va al seti am tota aquela companhia en
que era Layra et lo bastar d'Orlhenx et d'autres capitanis ; mas non pas en tan gran companhia coma
eran los Englezes a X per I ; es avian gran paor de
metre se sus els, mas la Piuzela lor mes tal cor et se mes d'avas la plus forte part del seti, que davant que
fosso xxiv oras, agro levat lodich seti et mort grant
multitut d'Englezes, et gran cop d'aprionatz.
Qu'il soit mémoire à tous dans le présent et l'avenir d'un merveilleux
fait que Dieu Notre Seigneur Jésus-Christ a accompli en faveur du noble
prince, notre souverain le roi de France, Charles, fils de Charles. Il faut
savoir qu'au mois de mars, l'an 1428 (a. st.), vint vers ledit roi de France,
une fille, une Pucelle, jeune, de l'âge de quatorze à quinze ans. Elle était
du pays et du duché de Lorraine, pays qui est des côtés d'Allemagne.
Cette Pucelle était une pastourelle innocente, qui tout le temps de sa vie
avait gardé les brebis. Elle vint vers le roi, dans le temps susdit, en la ville
de Chinon, accompagnée par ses deux frères ; quelques autres aussi en
petit nombre l'accompagnaient. Et quand elle fut par là, elle se prit à dire
qu'elle voulait parler au roi, qu'elle n'appelait pas roi, mais Dauphin
parce qu'il n'était pas couronné. Alors lui furent montrés quelques chevaliers,
en lui disant que c'était le roi ; et elle dit toujours que ce n'était pas
le roi, et que quand elle le verrait, elle le connaîtrait bien. Et enfin le roi de venir ; et sitôt qu'elle le vit, elle de se jeter à genoux
(devant lui) et de lui dire que Dieu l'envoyait vers lui, et elle l'appelait
légitime roi de France, et que s'il voulait croire qu'elle était venue vers
lui par commandement de Dieu, qu'il recouvrerait tout ce que les Anglais,
anciens ennemis du roi, lui avaient pris et usurpé.
Le fait est qu'ils occupaient tous les pays de Normandie et de Picardie,
excepté Tournay, les pays de Beauvaisis, de Maine et d'Artois, de Brie,
de Beauce et toute la Champagne, Paris et toute la douce France, les pays
du Hainaut et de Cambrésis, jusqu'à la rivière de Loire. En ce temps,
en effet ils tenaient la ville d'Orléans assiégée. Dans la ville se trouvaient
cinq cents hommes d'armes; mais le siège était si fortement assis que ni
les hommes d'amies, ni les habitants de la ville, ni toute la puissance
du roi, n'étaient pas capables de le faire lever; aussi les assiégés étaient-ils
en délibération de se rendre à la merci des Anglais; ce dont le roi était
fort inquiet, à la pensée de perdre une aussi bonne ville que l'est Orléans. La Pucelle, voyant l'inquiétude du roi, vint lui parler en ces termes :
« Gentil roi de France, qu'avez-vous ? Vous êtes inquiet sur votre ville d'Orléans: je veux envoyer aux ennemis une lettre dans laquelle je leur dirai que Dieu leur ordonne de lever le siège de devant Orléans, et de s'en aller; car s'ils ne le font pas, il faudra qu'ils s'en aillent par force. »
Quand les capitaines anglais eurent lu la lettre que la Pucelle leur
envoyait, ils dirent contre elle de grandes insultes et injures. Quand la Pucelle connut la réponse faite à sa lettre, elle vint dire au roi
de rassembler des hommes d'armes et de trait ; ainsi fit-il, il fit son mandement;
la Pucelle se mit la première sur pied, année de fer-blanc des
pieds à la tête ; elle leva un étendard sur lequel Notre-Dame était représentée;
elle vint au siège avec toute la compagnie dans laquelle se
trouvaient La Hire, le bâtard d'Orléans, et d'autres capitaines qui n'étaient
pas en aussi grand nombre que les Anglais qui étaient dix contre un. Aussi
avaient-ils grand peur de les attaquer ; mais la Pucelle leur donna un tel
cœur, que se mettant elle-même devant la partie la plus forte du siège,
avant vingt-quatre heures, le siège était levé, une multitude d'Anglais
tués, beaucoup d'autres prisonniers.
Source
: Présentation et traduction : Ayroles - t.IV, p. 398.
Texte original : Quicherat - t.IV, p. 300.
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