La chronique du Mont Saint-Michel
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ette brève Chronique se trouve dans le manuscrit 5696 (fonds latin)
de la Bibliothèque nationale. Quicherat l'en tira, et la plaça dans son Recueil en l'attribuant au Continuateur français de Guillaume de Nangis,
parce que dans le manuscrit elle est placée à la suite d'un Abrégé de la
vie de saint Louis par Guillaume de Nangis. Siméon Luce a découvert,
que c'était là une Chronique du Mont-Saint-Michel, commençant en 1343
pour finir en 1468. Il la croit l'œuvre de plusieurs auteurs; il l'a éditée
avec de nombreuses notes empruntées aux divers dépôts d'archives.
L'intérêt des courtes lignes que la Chronique consacre à Jeanne d'Arc
est dans la date du jour de l'arrivée de la Pucelle à Chinon, le 6 mars ;
date qui concorde fort bien avec d'autres indications, et notamment les
dépositions de Jean de Metz et Bertrand de Poulengy (1). La Chronique
dit encore que, dans cette guerre, les Anglais n'avaient jamais déployé
autant d'habileté que dans le siège d'Orléans. Il y avait eu cependant des
sièges très fameux. Tels ceux de Calais, de Cherbourg, de Rouen, de
Melun, de Meaux. La résistance avait été de tout héroïsme, les habitants
ne s'étant rendus qu'après les extrêmes horreurs de la faim et s'être
défendus durant six mois.
Le chroniqueur énonce très brièvement le fait, d'abord en français, et
ensuite en un vers latin barbare dans lequel le mois est indiqué par le signe
du zodiaque qui y correspond et l'année par les lettres numérales qui se
trouvent dans le vers. Or pour les nombres inférieurs les Latins usent de
sept lettres seulement, I = 1, V = 5, X = 10, L = 50, C = 100, D = 500,
M= 1000. Les autres lettres ne doivent pas entrer dans la numération (2).
Même en partant de cette règle, l'année ne semble pas toujours exactetement
désignée.
L'an mil IIIIc XXVIII, le 6e jour de mars, la Pucelle
vint au roy :
pLaVsa sVbIt FranCos sVb plsCIbVs aLMa pVeLLa. (3)
L'an 1429, ladicte Pucelle leva le siége qui estoit
devant Orléans, là où il avoit des plus diverses bastilles
et autres fortificacions qui fussent de tout le
temps de ceste guerre.
eCCe pVeLLa VaLens geMInIs JVVat aVreLIanos. (4)
En cel an ladicte Pucelle print Jargeau où estoit
le conte de Sufort et ses deulx frères, et plus de
500 Anglois, et fut le 19e de juing. Le sabmedy ensuivant, elle vint à Baugencé où il avoit grant force
d'Anglois qui se rendirent à elle auxi tost.
Item icel sabmedi jour saint Aubert, elle parsuyt le
sire de Tallebot, Scalles et aultres Anglois bien 4000,
qui furent desconfiz, et ledit Tallebot prins à Patey :
Ista pVeLLa, feraM, CanCro fVIt a patei VICtrIX. (5)
L'an dessusdit ladicte Pucelle mena couronner le
roy Charles VIIe à Rains, qui fut couronné le 17e jour
de juillet.
grata pVeLLa, sCIo , karoLI seXtI bone nate,
reMIs ad saCrVm te sIstIt In JVLIo. (6)
Le roy et elle firent de grans conquez et s'en retournèrent
droit à Tours et Chinon et ès marches
d'iceluy pays ; dont la Pucelle se partit et retourna ès Françoys qui estoient eu païs de France, et là fut
prinse des Bourguignons à Compeigne, l'an 1430 :
nVnC Cadlt In geMInIs bVrgVndo ViCta pVeLLa (7).
Les Bourguignons qui avoient prins ladicte Pucelle
la vendirent aux Anglois.
L'an mil cccc xxxi, le pénultime jour de may, les
Anglois ardirent la Pucelle qu'ilz avoient achatée des
Bourgongnons (8).
Source : Présentation : "La vraie Jeanne d'Arc - t.III : La libératrice" - J.-B.-J. Ayroles - 1897, p.271
Texte original : Quicherat, t.IV, p.313.
Notes :
1 Ndlr : nous ne sommes pas d'accord avec Ayroles, Jean de Metz donnerait plutôt raison aux partisans de l'arrivée de Jeanne à Chinon vers le 23 février (date donnée par le "greffier de La Rochelle")
Voir aussi cet article qui fait souvent autorité sur la date d'arrivée de Jeanne à Chinon.
2 Dans la Pucelle devant l'Église de son temps, p. 455, l'inquisiteur Jean Bréhal cite
des vers chronogrammatiques qu'il interprète d'après la règle ci-dessus indiquée. La
valeur numérale des lettres ayant été marquée en chiffres arabes au-dessous de
chacune de ces lettres, de savants auteurs ont écrit que nous faisions de la fantaisie.
Ils n'avaient probablement pas fait attention à la règle qui vient d'être rappelée. Aussi
ont-ils mal lu le vers qui commence par Ut cum, et non par Vi cum Vi. (Voir Dictionnaire
diplomatique, par QUENTIN, mot CHIFFRES, p. 186, éd. Migne.) (Ayroles).
3 La douce Pucelle vint en France sous le signe des poissons.
4
La vaillante Pucelle vient au secours des Orléanais sous le signe des Gémeaux.
5 Cette Pucelle, je le dirai, fut victorieuse à Patay, sous le signe du Cancer.
6 La bienfaisante Pucelle, je le sais, bon Fils de Charles VI, en juillet te conduisit à Reims pour ton sacre.
7 Et maintenant sous le signe des Gémeaux succombe la Pucelle vaincue par le
Bourguignon.
8 Le chronogramme qui devait accompagner cet article, manque dans le
manuscrit. On peut le suppléer d'après le Mirouer des femmes vertueuses. (Quicherat)
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