alter Bower, né à Hadington en 1385, prit l'habit de moine à dix-huit
ans, dans l'abbaye de Saint-Colomb. Il étudia la philosophie et les sciences
sacrées dans son monastère et vint ensuite se perfectionner à Paris.
Rentré à Saint-Colomb, il fut porté à la dignité abbatiale en 1418 : il fut
même appelé à prendre une part active au gouvernement du royaume d'Écosse. Devenu plus libre en 1441, il s'occupa de travaux historiques.
Au siècle précédent, Fordun, chanoine d'Aberden, avait entrepris de
rédiger, sous le titre de Scoto-Chronicon, les annales d'Écosse depuis les
temps les plus reculés, même avant l'ère chrétienne. Sur quatorze livres
dont se composait son ouvrage, de cinq à six seulement avaient reçu une
rédaction définitive ; les autres, quoique fort avancés, restaient encore incomplets. Bower reprit le travail, et conduisit le Scoto-Chronicon jusqu'à
l'année 1436.
[De victrici Puella Franciæ et de morte ejus]
Circa idem tempus, venit de Lotharingia quædam
virgo juvencula, nomine Johanna, quæ dicebat se
fuisse missam ab Altissimo ad propulsandum et enervandum
Anglorum molimina. Quæ, acceptis a rege
Franciæ duobus millibus armatorum virorum, accessit
Aurelianis cum victualibus, heraldum præmittens cum
littera et præcipiens obsidentibus, ex parte Dei omnipotentis,
ut a civitate et a Francia recederent, alias
pœnas eis mirabiles intentabat. Qui nuncium surda aure spernentes, nullum eidem responsum mittere
dignabantur. Quæ ubique arma ferens virilia, per batellos
civitati victualia intromisit et bastilla conquisivit,
et ipsura Glassendem cura sexcentis et ultra occidit,
et civitatem intravit et civitatenses humaniter
confortavit.
Abhinc recessit Turonis ad regem, et, congregata
majori potentia, cum duce Alaunson et constabulario
Franciæ Aurelianis repetiit, et obsidionem levavit.
Unde Anglici recesserunt ad oppidum de Le Mun-so-Lare, quos a tergo insecuta, cum eis commisit bellum
campestre ; ubi occisi sunt de Anglis tria millia, et de
Francis et Scotis viginti personæ ; ubi capti sunt dominus
de Talbot et dominus de Scalez.
Dehinc processit et obsessit oppidum de Georgewis,
et per assultum sumpsit ; ubi captus fuit cornes de
Southfolk cum duobus fratribus suis.
Et consequenter,
de consilio le Pucelle, accessit rex ad civitatem Remensem
in Campania, et ibidem coronatus est et inunctus
unctione ampullæ, per angelum Karolo Magno
transmissæ. Hoc in tempore, ecclesiæ aurelianensi præfuit episcopus
Johannes Kirkmichael, scotus.
Quæ Puella, dimissis ibidem custodibus, accessit ad
civitatem Santlice, quæ reddita est ei ; dehinc ad
Sanctum-Dionysium, quæ ultro reddita est ei. Et ibidem,
dimisso rege, Puella accessit Parisiis cum x millibus,
et ipsum assilivit ; ubi multi de exercitu regis
sagittatione fundarum, albalistrorum, lapidum et sagittarum,
vulnerati occubuerunt. Ubi etiam le Pucelle per utraque femora ictu garaldi transfixa est.
Quo
comperto, rex transtulit se Aurelianis, et ipsa transducta
ad Valois, ubi curata, translata est ad Compendium
; et ibi explorata et capta ab Anglis et Burgundis,
transmissa fuit Rothomago ubi judicio domini Johannis, regentis, dolio inclusa, incinerata est. Multa
namque bona contulit regno Franciæ et terrorem ad
tempus Anglis incussit ; sed quo spiritu præmissa præsumpsit,
novit ille qui nihil ignorat. Detulit enim in
indice manus sinistræ anulum quem quasi continue intueri
solita fuit, sicut mihi retulit qui hæc vidit.
Hæc est illa forte de qua Merlinus in suis secretis
scribit ita dicens :
Gloria sublimis, rutilans ab aggere solis,
Megeros ebulliet mersos in Aurelianis.
Moeror magnificus Anglorum stigmata terit.
Frendens anuli quæ magica mira satis,
Corruet ab alto, sublimi tacta nitore,
Perget et ad pelagus ; pace sua perit hic
De qua etiam, ut dicitur, prophetatum fuit sic :
Vis cum vi, culi bis septem se sociabunt ;
Gallorum pulli tauro nova bella parabunt ;
Ecce beant bella, portat vexilla Puella.
Virgo, puellares artus induta virili
Veste , Dei monitu, properat relevare jacentem, etc...
Hic Brigitta de Francis, cui apparuit Nostra Domina,
dicens : « Quod nunquam erit sic firma et tranquilla
pax in Francia, quod habitantes in ea plena securitate
et concordia possunt ullatenus congaudere,
antequam populus regni placaverit Deum, filium
meum, per aliqua magna pietatis et humilitatis opera,
quem suis multis peccatis et offensionibus, ad indignationem
et iram hactenus provocarunt. »
Hæc Puella capitanea fuit apud Mune, ubi interfecti
sunt tria millia Anglorum, et capti domini de
Talbot, Willuby et Skelby...
Vers ce temps, vint de Lorraine une Vierge toute jeune qui se disait envoyée par le Très-Haut, pour repousser et rendre impuissantes les prétentions
des Anglais. Le roi ayant mis sous sa conduite deux mille
hommes d'armes, elle vint à Orléans avec un convoi de vivres, après
avoir envoyé devant elle un héraut porteur d'une lettre, par laquelle elle
ordonnait aux assiégeants, de la part de Dieu, de quitter Orléans et la
France, sous peine, s'ils désobéissaient, d'avoir à encourir de terribles
châtiments. Le message fut non avenu, et le messager accueilli avec tant
de mépris qu'on ne daigna pas lui donner une réponse à rapporter. La
jeune fille, qui marchait toujours vêtue en guerrier, introduisit les vivres
par bateau, conquit des bastilles, tua Glacidas avec plus de six cents de
ses hommes, entra dans la ville, et en réconforta heureusement les habitants.
Elle vint ensuite à Tours, auprès du roi, réunit de plus grandes
forces, regagna Orléans avec le duc d'Alençon et le Connétable de France,
et fit lever le siège.
Les Anglais se retirèrent dans la place de Meung-sur-Loire. La Pucelle
les poursuivit, et leur livra bataille en rase campagne ; trois mille Anglais
y trouvèrent la mort ; il n'y périt que vingt hommes parmi les Français
et les Écossais; les sires de Talbot et de Scales y furent pris. La Pucelle,
allant de l'avant, assiégea Jargeau et l'emporta par assaut. Le comte de
Suffolk y fut fait prisonnier avec deux de ses frères (1).
A la suite de ces victoires, le roi, sur le conseil de la Pucelle, vint à
Reims en Champagne ; il y fut couronné et sacré avec le chrême de l'ampoule
apportée par un Ange à Charles le Grand. Un Écossais, Jean
Kirkmichael, était alors en qualité d'évêque à la tête de l'Église
d'Orléans.
La Pucelle mit une garnison à Reims, vint à Senlis qui lui fit soumission,
et ensuite à Saint-Denys qui lui ouvrit spontanément ses portes.
Laissant le roi à Saint-Denys, la Pucelle vint avec dix mille hommes de Saint-Denys à Paris, et elle donna l'assaut à la ville, beaucoup d'hommes
d'armes de l'armée du roi y périrent frappés par les projectiles lancés
par les frondes, les arbalètes, les pierriers, atteints par les flèches. La
Pucelle elle-même eut les deux cuisses transpercées d'un garrot.
A cette vue le roi se retira à Orléans, et la Pucelle à Valois, d'où, après
guérison, elle se transporta à Compiègne. Là, guettée et prise par les
Anglais et les Bourguignons, elle fut transférée à Rouen, où par sentence
du seigneur Jean, le Régent, mise en niche (2), elle fut réduite en cendres (3).
C'est qu'elle fut pour le royaume de France la source de biens nombreux,
tandis que, durant quelque temps, elle fut la terreur des Anglais. Quel
esprit lui a fait entreprendre ce qui vient d'être dit, celui-là le sait auquel
rien n'est caché. Elle portait à l'index de la main gauche un anneau
qu'elle avait coutume de regarder continuellement, ainsi que je le tiens
d'un témoin des faits racontés (4).
Elle est peut-être celle dont Merlin, dans ses obscurs oracles, a écrit ce qui suit :
Gloria sublimis, rutilans ab aggere solis
Megeros ebulliet mersos in Aurelianis.
Moeror magnificus Anglorum stigmata terit.
Frendens anuli quæ magica mira satis,
Corruet ab alto, sublimi tacla nitore,
Perget et ad pelagus ; pace suâ perit hic.
On dit aussi qu'elle a été prophétisée ainsi qu'il suit :
Vis cum Vi, culi septem se sociabunt
Gallorum pulli tauro nova bella partabunt;
Ecce beant bella, portat vexilla Puella,
Virgo puellares arlus induta virili
Veste, Dei monitu, properat relevare jacentem, etc... (5)
C'est le cas de rappeler qu'au sujet de la France, sainte Brigitte
entendit Notre-Dame lui dire dans une apparition : « Jamais il n'y aura en France de paix un peu ferme et assurée; jamais ses habitants ne pourront jouir d'une pleine sécurité et concorde, tant que ses habitants par quelques grandes œuvres de piété et d'humilité n'auront pas apaisé Dieu, mon fils, dont ils ont jusqu'à présent provoqué l'indignation et la colère par beaucoup de péchés et d'offenses.
Cette Pucelle commandait auprès de Meung, là où furent tués trois
mille Anglais et furent faits prisonniers les seigneurs de Talbot, Willuby
et de Scales.
Source
: Présentation et traduction par J.B.J. Ayroles, "La vraie Jeanne d'Arc - t.III, La Libératrice", p.296 et suiv.
Texte original en Latin : Quicherat, t.IV, p.478 et suiv.
Présentation de Quicherat :
Cet écrivain, Ecossais de nation et gradué en droit canon de
l'université de Paris, naquit en 1385. Il fut abbé de Saint-Colm
depuis l'an 1418. Le roi Jacques Ier se servit de lui à diverses reprises
pour des affaires concernant l'administration de ses finances.
Il entreprit en 1441 de compléter et de continuer Fordun, qui, à la fin du XIVe siècle avait commencé, sous le titre de Scotichronicon,
une histoire ou chronique générale de son pays. Bower
poussa ce travail jusqu'à la mort de Jacques Ier (1437), et le dédia
au lord David Stuart de Rossyth. Dans son quinzième livre (chap. 36),
il parle de Jeanne d'Arc, sur laquelle il avait eu des renseignements
par un témoin oculaire. Cette circonstance, les relations
amicales de l'Ecosse avec la France du temps de Charles VII, la
connaissance que l'auteur avait de notre pays : tout cela donne de
la valeur à ses paroles, là même où il n'articule que des erreurs.
Les meilleures éditions du Scotichronicon, augmenté par Bower, sont celles d'Oxford par Hearne, 5 vol. in-8°, 1722, et d'Edimbourg
par Goodall, 2 vol. in-fol., 1759.
Notes :
1 Encore que cet abrégé des exploits de la Pucelle soit substantiellement vrai,
l'ordre des événements y est interverti, et la manière dont ils se sont accomplis, altérée.
2 Dolio inclusa. Les bûchers étaient construits en forme circulaire; de là, je crois, la
métaphore de Walter Bower, dolio inclusa, enfermée dans le tonneau.
NDLR : Quicherat n'a pas très bien interprété ce passage dans sa note.
3 Ainsi, en Écosse, Bethford passait pour le véritable instigateur de la
mort de Jeanne d'Arc (Quicherat).
4 C'est là un des chefs de l'accusation soutenue par le promoteur en 1431.
5 Vers rencontrés à plusieurs reprises dans d'autres témoignages.
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