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Sources
diverses
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Herman Cornerius |
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ncore un contemporain de la Pucelle, auteur d'une Histoire universelle
; c'est le dominicain Hermann Cornerius. Il naquit à Lubeck, dans les
vingt-cinq dernières années du XIV° siècle. Entré dans l'ordre des Frères
Prêcheurs, il semble y avoir surtout vaqué aux occupations de l'enseignement,
comme professeur de théologie. C'est ce que nous apprend
Georges Eccard, dans la notice qu'il lui a consacrée avant d'insérer au
tome II de son Corpus historicum medii ævi, une partie de sa chronique,
signalée déjà par plusieurs écrivains, entre autres par Leibnitz.
Eccard n'a imprimé la chronique de Cornerius, qu'à partir du règne
de Charlemagne jusqu'en 1435 (Leipsik, Francfort, 1723), époque où elle
finit. Cornerius ne nous dit rien de nouveau sur la Pucelle ; mais il est un
témoin de ce que la renommée publiait sur la Vénérable jusqu'aux extrémités
de l'Allemagne. Les journaux n'existaient pas; ce n'était donc que
par des récits oraux, le bruit public, ou quand on avait des relations, que par des lettres nécessairement rares que l'on pouvait être informé de ce
qui se passait au loin ; et il y avait loin alors de Lubeck ou de Hambourg
aux Etats du roi de Bourges. Il ne faut chercher dans Cornerius que l'idée
que l'on se faisait, à l'extrémité de l'Allemagne, de la mission et de la
sainteté de la Pucelle.
Hermann Cornerius, qui vivait encore en 1437, parle ainsi de la Pucelle à la date de 1429 :
Le royaume des Français, depuis plusieurs années comme anéanti par
les Anglais, reçut cette année un regard du Dieu de miséricorde qui le
releva d'une manière inespérée, insolite et presque inouïe.
Ainsi que le publie partout une éclatante renommée, vivait dans le
duché de Lorraine une jeune fille de quatorze ans environ, d'une famille
de paysans, dont l'occupation était de conduire les troupeaux dans les
champs, et qui fut inspirée par les Anges. Elle reçut l'ordre d'aller en
France et de dire au dauphin Charles : « Voici ce que dit le Seigneur, et ce que je vous dis en son nom! Si vous n'amendez point votre conduite et si vous ne faites pas une digne pénitence, vous périrez sous le fer de vos ennemis; mais si changeant de vie vous vous gouvernez selon la loi de Dieu et observez ses commandements, il redressera complètement votre royaume, abattra sous votre main tous vos ennemis, et vous fera un puissant roi des Francs. »
Cette Pucelle, sur l'ordre de Dieu, quitta la maison de son père pour
venir en France. Elle y vint, chercha le Dauphin au prix de grandes
fatigues et finit par arriver jusqu'à lui. Elle demanda avec instance aux
gens de sa maison d'être admise en sa présence. Son âge si jeune encore,
son extérieur simple et de paysanne la firent d'abord mépriser par les
seigneurs de la Cour. Cependant ses propos empreints de sagesse, l'éloquence
persuasive que lui donnait le Ciel, l'urgence de l'affaire qu'elle
devait traiter, firent qu'enfin elle fut introduite auprès du prince. Là,
messagère de Dieu, elle exposa sans la moindre crainte, avec assurance, à Charles, Dauphin des Français, le message qu'elle était chargée de
porter de la part de Dieu. Telle fut la vertu de celui qui agissait en elle
que l'esprit du prince en fut transformé, au point que, foulant aux
pieds toute vanité, il devint un autre homme, et renonçant de toutes
ses forces aux œuvres et aux plaisirs mauvais, il promit de se conduire
entièrement selon les conseils de la jeune fille que Dieu lui envoyait.
Ladite Jeanne resta donc auprès du dauphin Charles, et poursuivit
avec lui, conformément à l'inspiration divine, les intérêts du royaume;
elle voulut être présente de sa personne à toutes les batailles qui devaient
se livrer, se réservant de porter la bannière royale, conformément à la prophétie de Bède, que l'on a trouvée, et qui est exprimée dans les vers
suivants :
Vis con VI culli bis septem C sociabant
Gallorum pulli tauro nova bella parabunt.
Ecce boant bella, portat vexilla puella (1).
Il est dit encore que comme les Anglais assiégeaient Orléans, cette
Vierge s'approcha de leur armée et les pressa de s'éloigner de la ville,
parce que Dieu voulait s'en constituer le défenseur, et que tous succomberaient
devant lui s'ils ne levaient le siège et ne cessaient de combattre.
Il en fut comme la Vierge l'avait prédit.
Des hommes dignes de foi rapportent encore que la même Pucelle a
prédit la fin de sa vie et annoncé que sa mort mettrait fin aux calamités
du royaume. L'université de Paris a exprimé dans quelques vers ce que
devait être cette Vierge, le terme de sa vie, et ce que présageaient ses
promesses. Les voici :
Virgo puellares artus induta virile
Veste, etc (2).
Trois batailles, assure-t-on, ont été livrées cette année. La Pucelle,
d'après la renommée, y a personnellement assisté, et par sa vertu ou mieux
par la vertu de Dieu qui agit en elle, les Français ont été victorieux.
Vainqueur des Anglais devant Orléans, Chartes, sur le conseil de la
vierge Jeanne, se dirigea vers Reims. Il alla y chercher l'onction réservée
aux héritiers du royaume, qui, d'après les lois, doit lui être conférée dans
cette ville par l'archevêque de ce siège. Les habitants de Reims accueillirent
le roi avec le respect qui lui est dû; sur le conseil de l'archevêque
mandé à cet effet, et de tous ceux que réclamait la conjoncture, ils reconnurent
avec la plus grande joie le prince pour leur roi, et s'employèrent
pour qu'il fût, par leur archevêque, couronné en cette qualité. C'est ce
qu'affirment d'une commune voix ceux qui viennent de ces contrées.
(Col. 1292-1293.)
A l'année 1430, l'annaliste résume ainsi à sa manière ce qui s'est
passé en France :
Le nouveau roi des Français, Charles, grâce à la
vertu et aux mérites de Jeanne la Pucelle que Dieu a envoyée à ce
royaume, a victorieusemcnt engagé plusieurs combats contre les capitaines
anglais, et le duc de Bourgogne leur allié. Il leur a tué un nombre
infini d'hommes et s'est emparé de plusieurs de leurs villes et forteresses.
(Col. 1297)
A l'année 1431, il parle ainsi de la France :
La vierge Jeanne suscitée
par Dieu pour le salut de la France, après de victorieuses et terribles
batailles, a fini par être prise par Philippe, duc de Bourgogne.
Ce n'est pas l'effet du hasard, c'est la réalisation d'une prophétie par
laquelle elle l'avait annoncé. Le duc l'a livrée aux Anglais sur une somme
d'argent, à ce qu'il parait d'après ce qui en a été dit. Les Anglais s'en
sont saisis avidement, bien désireux qu'ils étaient de l'avoir; ils l'ont
conduite en Angleterre, et après l'avoir accablée d'injures et d'outrages,
ils ont fini par la brûler.
Une si cruelle mort infligée à une jeune fille innocente et aimée de
Dieu a attiré sur eux de nombreuses vengeances de la part du Seigneur,
et c'est par une juste permission que divers fléaux ont fondu sur ce
royaume. Une terrible épidémie a enlevé le tiers de la population; la
guerre civile y a éclaté à la suite de la nouvelle hérésie (3). Le peuple anglais
en guerre au dehors a perdu plusieurs grandes batailles ; beaucoup de ses
princes et nobles sont hors de combat ; et ce n'est que le commencement
de ses calamités (4).
(Col. 1306-1309.)
Source
: présentation et traduction du texte latin par le père Ayroles : "La vraie Jeanne d'Arc" - t.IV, p.279 et suiv.
Notes :
1 Un confrère de Cornerius, Jean Bréhal, nous a expliqué ces vers (t. I, p. 455).
2 Ces vers ont été déjà cités, (t. III. p. 285 et 628). Cornelius se trompe étrangement
en les attribuant à l'Université de Paris.
3 Les Wicléfistes.
4 Le chroniqueur exagère les malheurs de l'Angleterre à la date où il écrit;
mais ils devaient dépasser de beaucoup ce qu'il en dit, dans quelques années, avec la
guerre des Deux-Roses, il prophétisait vrai en disant que ce que souffrait l'Angleterre
vers 1430 n'était que le commencement de ses calamités.
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